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« Play Bach », « loom » & « eddies » de Yuval Pick

Trois pièces brèves, réunies à Faits d’Hiver pour la première fois. Et la certitude d’une écriture.

Quelques jours à peine après la création de sa nouvelle pièce Acta est fabula [lire notre critique], le voici au Théâtre de la Cité Internationale avec un bouquet de pièces courtes, crées entre 2010 et 2015, à savoir deux quatuors (Play Bach, eddies) et un duo féminin (loom). La possibilité de voir autant de pièces en peu de temps, avec en plus une filiation directe de sa création précédente Are friends electric  [lire notre critique] à Acta est fabula, a permis de sentir avec acuité l’éclosion d’une écriture personnelle qui occupe désormais une place très identifiable dans le paysage chorégraphique.

Le rapport à la musique, les relations entre les interprètes et un vocabulaire à la fois tonique et ludique sont au cœur de cette identité. Play Bach, créé en 2010, illustre avec acuité l’approche musicale qui aime perturber la lecture dominante en la prenant à rebours. On l’avait vue à l’œuvre dans Are friends electric, avec la relation surprenante, établie entre Schubert et Kraftwerk.

Jouer (avec) Bach

Dans Play Bach, les danseurs sont les DJ qui déclenchent un zapping peu orthodoxe, en appuyant eux-mêmes sur le bouton, alternant entre Concertos Brandebourgeois et La Passion selon Saint-Matthieu, en taillant dans les œuvres comme aucun traditionaliste ne laisserait faire. Et pourtant, les corps qui rampent, s’accrochent les uns aux autres, qui jouent avec la chute, l’absurde et la bagarre sont emplis de luminosité et de plaisir.

Ce qui importe n’est pas l’esthétisation du mouvement ni  une élégance canonisée, mais le rapport à la gravité terrestre, allègrement déjouée par la lévitation intérieure. Play Bach se déroule sur un sol blanc, à l’intérieur d’un carré marqué par un trait noir, comme pour limiter une aire de jeu. S’y déroule un bal absurde, souvent à quatre pattes, qui relève pourtant du jeu baroque de la rencontre dansée. Il faut avoir plongé dans Bach jusqu’au fond, pour remonter à la surface avec une telle élégance paradoxale.

Un style qui fait son chemin

loom (2014) est un duo féminin (les formidables Julie Charbonnier et Madoka Kobayashi assurant chaque pièce de la soirée avec bravoure et fraîcheur) ponctué par le piano de Nico Muhly (compositeur au Los Angeles Dance Project de Benjamin Millepied) et porté par la présence sonore du souffle des danseuses. La musique est une sorte de ragtime contemporain qui jaillit par intermittence, tel un souvenir. Entre Kobayashi et Charbonnier s’engage comme une lutte à distance, où chaque geste est un punch, chaque expiration une tentative de souffler l’autre. Ce face à face très énergétique est un art martial immatériel, illustration la plus condensée qui soit du travail de Pick sur la relation entre les interprètes, liés l’un à l’autre par une liberté partagée.

Au cours de la soirée, de pièce en pièce, la musique quitte les chemins balisés. La partition électronique de Samuel Sighicelli pour eddies, créé en 2015 pour le festival Kazuo Ohno à Yokohama, joue avec les sons du réel et la spatialisation. Les quatre danseurs (Thibault Desaules et Adrien Martins sont de retour) évoluent tels des électrons, s’associant tantôt à l’un tantôt à l’autre, dans une mobilité absolue. L’espace entre eux ressort ici comme personnage principal, s’élargissant, se rétractant et se tordant sans cesse, de manière parfaitement imprévisible. Et on termine sur un unisson librement consenti, dans une énergie clubbing, qui lie cette pièce directement à Are friends electric, créée quelques semaines plus tard.  

Dans notre interview en introduction à Acta est fabula, Pick avait déclaré: « Je travaille sur les lignes, et la dernière ligne dans Are Friends Electric est la première dans Acta est fabula. » [lire l’entretien complet ] Et voilà que la dernière ligne d’eddies écrivait déjà ce qui est au cœur des pièces suivantes. Fort de cette continuité, Yuval Pick est en train de construire un œuvre important en danse contemporaine, liant une expression populaire à des recherches pointues sur la musique, l’espace et le geste dansé, dans une énergie lumineuse.

Thomas Hahn

Spectacles vus le 29 janvier 2017 au Théâtre de la Cité Internationale, Festival Faits d’Hiver

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