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« Acta est fabula » : Interview de Yuval Pick

Le directeur du CCN De Rillieux-La-Pape crée une nouvelle pièce pour cinq danseurs à Chaillot. Du 9 au 12 janvier 2017.

Danser Canal Historique : Que mettez-vous au cœur de cette nouvelle création ?

Yuval Pick : J’ai travaillé sur deux choses. D’abord, la notion de groupe et comment on se connecte aux autres. Je trouve qu’en tant qu’artistes chorégraphiques nous sommes privilégiés dans le sens où nous sommes connectés à quelque chose, chaque jour. C’est l’essence de notre métier et de notre pratique. J’ai choisi ce métier parce la danse est un art collectif. Ensuite, la pièce parle de solitude à l’intérieur d’un groupe. Nous vivons dans des sociétés où nous sommes de plus en plus détachés de la connexion à l’autre et même de nos propres sensations et émotions intimes. Nous les projetons sur les écrans. Et puis, à un moment, les singularités décident de se connecter. Elles s’unissent et décident de faire un parce qu’elles en ont besoin, au fond d’elles-mêmes. Mais à ces instants, qui sont des rituels et donc des moments privilégiés, le fascisme n’est jamais loin. La frontière entre le faire-ensemble et le mal est infime. Le troisième point de départ est la notion d’homme-totem, de mouvements tournant autour des contours du corps. Le buste, les bras, quelque chose de finalement assez figuratif. Je me suis aussi inspiré des hiéroglyphes.

DCH : Avec le titre « Acta est fabula » vous vous référez donc directement à la formule du théâtre romain marquant la fin d’une représentation.

Y. Pick : Et Rabelais l’a utilisé à la fin de sa vie. J’aime beaucoup Rabelais et son rapport au grotesque. En écrivant la pièce je ressentais tout le temps quelque chose de l’ordre de la fin d’une époque, d’un cycle. Il y a quelque chose qui est en l’air qui dit qu’on ne peut plus continuer comme ça. Malgré toutes nos possibilités technologiques. Et je suis tout sauf seul à ressentir cela. En plus, cette notion de fin de cycle me concerne aussi, personnellement. J’ai aujourd’hui quarante-sept ans et je travaille avec des danseurs qui ont vingt ans de moins que moi. Aussi cette notion de fin de cycle et de renouveau a accompagné toute la création de la pièce. Mais j’y ressens aussi un « l’acte est fabuleux », comme pour parler du mouvement du danseur.

DCH : Vous utilisez la parole, le chant, et des symboles.

Y. Pick : Il y a un travail sur les mots et la voix. Tout remonte à l’époque de l’attentat contre Charlie Hebdo. J’ai participé à la marche solidaire. Mais je suis un étranger et j’observe de l’extérieur le rapport des Français à leur hymne national et aux symboles collectifs. C’est un rapport complexe et assez étrange. Les Français ont chanté la Marseillaise dans la marche pour Charlie Hebdo, comme ils peuvent la chanter dans un stade de football. Cela exprime une nécessité fondamentale. Nous sommes tous des créatures sociales et avons besoin de symboles autour desquels on peut se rassembler. Moi-même, je me considère comme un artiste français. Toutes mes racines chorégraphiques se sont développées en France. Mais dans le spectacle je ne touche pas à l’hymne national français, tellement chargé de connotations.

DCH : Les chansons et musiques du spectacle représentent divers époques.

Y. Pick : Chanter ensemble, c’est merveilleux. Je le faisais avec mes parents et des amis et c’était réjouissant. Ma recherche est partie de choses dites ou chantées en groupe. Les chansons populaires sont aussi des hymnes, des hymnes à la fois intimes et collectifs. La danse est à son tour une façon de remanier la mémoire corporelle et donc de la mémoire collective. Quand je bouge, mes sensations et pensées se réorganisent. Voilà pourquoi les pensées sont plus claires quand on marche dans la rue. Quand je travaille avec des danseurs français, je suis confronté à la mémoire collective de la nation française.

DCH : Vous utilisez, entre autres, une musique qui rappelle l’univers de Kraftwerk, que vous avez mis face à Schubert, dans votre pièce précédente, Are Friends Electric. Y at-il un lien entre les deux créations ?

Y. Pick : Je travaille sur les lignes, et la dernière ligne dans Are Friends Electric est la première dans Acta est fabula. Je ne suis pas le seul chorégraphe chez qui la fin d’une pièce est le début de la suivante. J’ai besoin de ce cheminement. C’est pour ça que j’ai créé une compagnie de danse. La ligne finale dans Are Friends Electric était un unisson. Ca m’a fait peur. Je n’avais encore jamais travaillé sur l’unisson. Et je me suis dit : C’est ça, ma prochaine pièce ! Et voilà, c’est le cas. Une pièce sur l’alignement, cette structure archaïque. Mais Acta est fabula n’est pas pour autant une pièce didactique!

DCH : Vous avez dû travailler hors les murs, le CCN de Rillieux-La-Pape étant endommagé suite à l’incendie d’une voiture garée devant le bâtiment. Nous espérons cependant que votre histoire dans cette ville n’est pas encore « fabula ». Où en êtes-vous ?

Y. Pick : Cet incendie complètement improbable était un choc. Devoir partir aussi subitement, c’est violent. Nous avons rapidement continué les répétitions dans un gymnase qui faisait partie de l’ancien CCN dirigé par Maguy Marin. En février nous allons, sauf contre-ordre, récupérer les parties du CCN actuel qui n’ont pas été endommagées, à savoir le grand studio et les bureaux. Les autres parties ont subi des dégâts légers. Nous espérons pouvoir les réutiliser, au bout de la procédure avec l’établissement d’avis d’experts etc. Mais ce ne sera pas avant dix à douze mois.

DCH : Comment réagissez-vous à cet incident ? Quelles conséquences en tirez-vous ?

Y. Pick : Je voulais depuis longtemps transformer le CCN pour l’ouvrir, architecturalement. C’est un bâtiment magnifique, mais pas assez ouvert sur l’extérieur. J’en ai discuté avec la DGCA qui va nous soutenir. Ils ont leur propre architecte et ils vont nous aider, avec la DRAC et la ville pour transformer le bâtiment. Il dispose d’un parvis qui a été ajouté dans un second temps. Je voudrais donc que le rez-de-chaussée du CCN soit un lieu ouvert, sur ce parvis et donc sur la ville. Ca me semble très important dans ce quartier. Rillieux-La-Pape est en train de grandir, de se développer énormément et le CCN doit participer à cette évolution. Les choses doivent bouger. L’incendie a été un signe. 

 

Propos recueillis par Thomas Hahn

Acta est fabula

Création à Chaillot- Théâtre National de la Danse

Du 9 au 12 janvier 2017

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