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Nina Laisné : « Como una baguala oscura »

Un spectacle en-dehors des sentiers battus, vibrant, d’une rare finesse, résonant de toutes les harmonies créées par Hilda Herrera, une femme forte et inspirante, et Néstor ‘Pola’ Pastorive, mis en scène grâce aux multiples talents de Nina Laisné.

Ce merveilleux spectacle tire tout son charme de sa simplicité désarmante. Sur le plateau, du sable, des briques, un écran, et la souche impressionnante d’un aguaribay, un arbre argentin emblématique dont le tronc doit bien valoir celui d’un vieux baobab. Il sert d’espace de représentation à Néstor ‘Pola’ Pastorive, danseur et chorégraphe. L’aguaribay fait écho à la première chanson d’Hilda Herrera, une pianiste, autrice et compositrice exceptionnelle que l’on va suivre durant toute ce Como una baguala oscura, dont elle est, au fond, le sujet principal.

Galerie photo : Laurent Philippe

Elle apparaît sur l’écran de type panneau publicitaire décati des routes désertes de la pampa. À 91 ans, les quelques seize heures d’avion pour arriver jusqu’à nous étaient un peu difficiles, d’où cette présence virtuelle – mais fort loin d’être désincarnée ou médiatisée. C’est d’ailleurs à cela que tient la magie absolue de ce spectacle-documentaire d’un nouveau genre.

Pour résumer Hilda Herrera, seule femme compositrice à avoir durablement marqué le folklore argentin et à y avoir imposé son instrument de prédilection, le piano, joue, chante, raconte son histoire et, comme en passant, celle de l’Argentine, qui l’a traversée, avec ses poètes, ses artistes, sa vie, mais aussi les années terribles de la dictature où elle pouvait jouer ses compositions – mais en omettant les paroles !

Galerie photo : Laurent Philippe

Elle entre en dialogue avec les zapateos de son compatriote, Néstor ‘Pola’ Pastorive, danseur virtuose de zapateos, mais façon Israel Galvan, la provoc’ en moins, mais le désir de sortir des stéréotypes du genre tout aussi vifs. Cette danse des « gauchos », ces cow-boys argentins, demande, outre les zapateos, une rapidité des jambes qui s’entrelacent dans des figures d’une célérité impressionnante, comme une souplesse des chevilles qui se tordent, notamment pour gambiller avec des éperons d’une longueur féroce, étonnante.

Ce duo étonnant, mis en scène par Nina Laisné, artiste protéiforme qui allie cinéma, musique, et art contemporain (et créatrice d’un nouveau label discographique Alborada qui vient de produire le nouvel album… de Hilda Herrera), est un bijou d’équilibre, de sensibilité, d’intériorité. Dès la première minute, le spectateur est absolument captivé, autant par la musique que par la voix d’Hilda, par sa présence inoubliable qui crève littéralement l’écran puisque nous finissons par complètement oublier celui-ci, et par la performance chorégraphique de Néstor ‘Pola’ Pastorive qui lui répond par les différents rythmes de ses frappes, comme un dialogue si intime qu’il peut se passer de mots.

Galerie photo : Laurent Philippe

Elle, Hilda, est terriblement attachante dans sa façon de raconter sa vie, ses anecdotes de composition, ses rencontres artistiques et humaines, que ce soit Atahualpa Yupanki, Pablo Neruda, ou Mercedes Sosa, la première à chanter ses mélodies d’une beauté indicibles, qu’ils s’agissent de milongas ou de zambas qui nous font frissonner.

Car Hilda Herrera est aussi une pianiste hors pair. Son toucher, ses accents, son phrasé, son sens rythmique, sont extraordinaires de délicatesse, mais aussi d’une puissance peu commune. Elle avoue d’ailleurs, non sans malice, « une main gauche un peu lourde » qui lui a servi à remplacer le « bombo » cet instrument de percussion typique du folklore argentin. C’est ainsi qu’elle créa une vraie révolution contribuant à faire évoluer le folklore – et donc à conserver sa force novatrice, son aspect radical, tout autant au sens d’absolu et de catégorique, qu’au sens de racine, comme cette fameuse baguala oscura, un chant préhispanique du nord-ouest de l’Argentine.

C’est un spectacle absolument magnifique, d’une liberté folle dans sa conception, émouvant, sensible, qui permet de toucher au plus près les délices de ces mélodies inventées par la grande, très grande Hilda Herrera.

Agnès Izrine

Le 26 septembre 2024, Chaillot Théâtre national de la Danse, avec le Festival d’Automne à Paris. Jusqu’au 29 septembre.

Lire aussi notre entretien.

Distribution

Conception, mise en scène et création costumes Nina Laisné
Chorégraphie et interprétation Néstor 'Pola' Pastorive
Enregistrements audios et vidéos – Piano et composition Hilda Herrera
Pièces à 4 mains Sebastián Gangi
Créateur lumière Shaly López
Ingénieur du son Arthur Frick
Régisseur général et vidéo Stéphane Bordonaro
Ingénieure du son studio Mireille Faure
Images, vidéo Dante Martinez
Costumes et accessoires Florence Bruchon, Maurice Laisné
Construction souche d’arbre Atelier de la maisondelaculture Bourges, Scène nationale
Direction des ateliers décors Nicolas Bénard

En tournée

4 octobre, La Halle aux Grains (Blois), 5 novembre Maison de la Culture (Bourges),7 novembre Malakoff Scène nationale,  21 janvier 2025 Les Scènes du Jurav(Lons le Saunier), 23 et 24 janvier  CCN de Caen (Caen) Du 27 au 29 janvier Théâtre de la Vignette (Montpellier), 31 janvier et 1er février  Théâtre Garonne (Toulouse), 4 février  Théâtre Molière (Sète), 6 février  Cité musicale de Metz (Metz), 13 mars  ACB (Bar-le-Duc), 18 mars  Espace des arts (Chalon-sur-Saône ), 20 mars Le Grand R  (La Roche-sur-Yon), 22 mars  Festival CNDC (Angers), 25 et 26 mars, Bonlieu Scène Nationale (Annecy)

 

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