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Arcachon : Cadences cultive sa spécificité

La présence de Maria Pagés a marqué la 16e édition du festival Cadences.  

En seize ans la petite ville balnéaire sur le bord du fameux Bassin a découvert la danse dans sa dimension festive ou l’exigence artistique rencontre la dolce vita. Au Théâtre de la mer, plateau éphémère posé sur la plage, où le Bassin d’Arcachon sert d’arrière-plan, les spectacles se donnent sans artifices visuels, au contact du vent, du soleil, du sable.

Seul au Théâtre de la mer, les baigneurs peuvent regarder  les spectacles par l’arrière-scène. Seul ici on voit des baigneurs immergés dans l’eau applaudir les danseurs. Seul ici, Calixte de Nigremont, maître de cérémonie ultra-aristocrate au 4e degré, « meuble » les transitions. Mais il « meuble » en Louis XIV, commentant les spectateurs autant que les artistes. Et tout le monde s’anoblit face à la  danse.

S’adapter aux éléments

Ce plateau-plage qui expose les danseurs au vent et au soleil ne fait pas de cadeau, sauf celui d’un échange plus direct et spontané avec le public, puisque la peau de tous, danseurs et spectateurs, est exposée aux éléments dans les mêmes conditions. Beaucoup de spectacles doivent être adaptés, remaniés, raccourcis comme pour un concours, pour créer des propositions brèves et poignantes. Hip hop et ballet marchent toujours, « mais je ne veux pas programmer que ça », dit Benoît Dissaux, le directeur artistique de Cadences.

L’édition 2017 a permis d’apprécier  la finesse absolue de la compagnie hip hop 6e dimension avec sa technique ciselée et l’acuité de son regard sur la condition féminine dans Aspect(s) de femmes et Je me sens bien, ainsi que la virtuosité espiègle de Tie Break dans Lobby, pièce formidablement divertissante, interprétée par une bande de garçons qui met le public dans sa poche dès le départ.

La danse contemporaine s’y défend plus difficilement, mais Dissaux n’entend en rien l’écarter. La version spéciale de Mutant (lire notre critique) de Brumachon/Lamarche (désormais Cie Sous la peau) a fait l’unanimité. Lucie Augeai et David Gernez ont créé Job Remix en vue du Théâtre de la mer, une version réduite à cinq interprètes de leur excellent Job (lire notre critique)

Escales et découvertes

C’est encore à Arcachon que le bateau est parfois le meilleur moyen de transport pour voir un spectacle, dans les rues ou les jardins d’une ville sur l’autre rive du Bassin. Les Escales chorégraphiques ont révélé, au Cap Ferret, la compagnie Oxyput avec Soaf, une pièce pour trois danseuses et une musicienne qui met en jeu l’autorité, les règles, l’interaction avec le public, dans un engagement physique très poussé sur le bitume brut.

Invités à vider les bouteilles d’eau sur les danseuses, les spectateurs transgressent les règles du jeu savamment construites. Soaf rend hommage à l’eau comme enjeu du jeu de la survie, dans une première création, écrite avec fulgurance (et un léger manque de structuration), pour un début prometteur par une nouvelle compagnie se consacrant à la danse dans l’espace public. 

Huit Carmen à l’Olympia

Le troisième pilier de Cadences est l’intégration du festival dans la programmation de l’Olympia, également conçue par Dissaux. Le lien local avec la danse  se construit dans cette salle de mille places pour une ville d’onze mille habitants, par des propositions élitaires pour tous. Avec Preljocaj, Blanca Li ou le Cirque Eloize, l’Olympia affiche complet, même pour des séries.

Le public de Cadences aime l’Espagne. A Yo Carmen de Maria Pagés, la salle a réservé des ovations alors que les huit danseuses retournent la nouvelle de Mérimée comme un gant, alors que les robes, sobres et  en couleurs Sépia, prennent le contre-pied des couleurs festives traditionnelles et que la danse se met au service des personnages. Tout commence par un sombre ballet d’éventails qui rappelle la façon de Lemi Ponifasio d’évoquer l’autre côté du miroir, avant de virer vers le grotesque.  Ce théâtre de danse donne à voir ce que Pina Bausch aurait créé si elle avait été Andalouse, en y ajoutant un côté militant plus offensif et explicite.

Yo Carmen revisite la partition de Bizet et l’histoire de la victime du point de vue de la femme. Mais Pagés évoque la vie d’une femme ordinaire au quotidien, où les tâches ménagères prennent plus de place que la passion amoureuse. Les  hommes sont ici absents, mais Pagés réussit à enchanter le public en désenchantant le mythe de la femme fatale.

Par son écriture pugnace et poignante, Pagés, par ailleurs également passionnante comme chanteuse réaliste, renoue avec l’inspiration d’Antonio Gadès, son mentor. Nous sommes heureux d’avoir pu nous entretenir avec elle suite à Yo Carmen qui a clôturé cette édition de Cadences. (Lire notre interview)

Thomas Hahn

Vu au Festival Cadences le 24 septembre 2017

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