Chaillot 2024/2025 : Une saison exploratrice et fédératrice
Le Théâtre national de la Danse invite, sous l’égide de Rachid Ouramdane, à la fête et au voyage.
« La danse s’impose comme un phénomène de société qui nous rassemble », écrit Rachid Ouramdane dans son éditorial consacré à la saison 2024/2025 de Chaillot Théâtre national de la Danse. Et parle de « cette omniprésence de la danse dans nos vies ». L’omniprésence de Chaillot n’est pas en reste, la maison continuant en mode « nomade » à exporter ses grands formats vers d’autres lieux parisiens. Sans parler de la tournée prévue avec le spectacle Corps Extrêmes (lire notre critique)de Rachid Ouramdane qui, plus nomade encore, part en tournée jusqu’en Asie et Océanie. Et c’est loin d’être la seule tournée du répertoire Ouramdane.
Ce qui ne veut pas dire qu’il oublierait la création, puisqu’il poursuit son exploration du geste aérien et de l’envol du danseur avec la création de Contre-nature, une pièce entre le sol et les airs pour une dizaine d’interprètes, également à l’aise dans les deux sphères, sous l’égide du chorégraphe et directeur de Chaillot Théâtre national de la Danse, lui-même devenu spécialiste en ce domaine depuis la création de la très acrobatique et aérienne Möbius avec la compagnie circassienne XY en 2019 (lire notre critique ).
De l’Argentine à Taïwan : Si loin, si proche…
Mais l’inverse est tout aussi vrai. En septembre, Nina Laisné invite à rencontrer le chorégraphe argentin Nestor ‘Pola’ Pastorive autour de l’œuvre de la pianiste et compositrice argentine Hilda Herrera, figure majeure du folklore argentin. Aussi le zapateos, suite de mouvements rythmiques typique de l’Argentine, où talons, pointes et plantes du pied frappent le sol, arrive au cœur de Paris, sur le plateau de Chaillot.
En octobre, le Palais de Chaillot sera investi par Taïwan, lors du weekend Chaillot Expérience, avec un film en réalité virtuelle primé lors de la Biennale de Venise 2022, des séries de performances brèves et un spectacle de danse, vidéo et de laser autour de la jeunesse et l’exploration de soi chez les paiwan, ethnie du sud-est de Taïwan, avec la Bulareyaung Dance Company dans tiaen tiamen.
En novembre, l’exotisme commence par le cabaret, autre Chaillot Expérience à vivre, ici en danse, musique et chant en complicité avec François Chaignaud, de beatbox aux polyphonies anciennes. Le tout en écho au spectacle In absentia de François Chaignaud, l’un des artistes associés de Chaillot, et Geoffroy Jourdain (direction musicale). Les musiques sont ici liées aux rites funéraires et danses macabres conçues pour treize interprètes.
Amérique, Afrique, Australie
Plus au lointain, le Brésil et l’Afrique du Sud. Robyn Orlin est allée à la rencontre du Garage Danse Ensemble à Okiep, dans la région frontalière avec la Namibie. Elle a conçu, pour les danseurs et les musiciens du groupe uKhoiKhoi, une fantaisie dansée et chantée qui évoque les traditions locales sous l’angle de la liberté de ton et d’humeur qu’on apprécie tant chez Orlin [notre critique]. Et Marcelo Evelin s’inspire de l’oiseau uirapuru, menacé d’extinction, et évoque les populations amérindiennes qui vivent en harmonie avec la forêt amazonienne. Un rite, minimaliste et ciselé, en écho aux danses traditionnelles des peuples amazoniens [notre critique].
En mars, l’invitée d’honneur est la Tunisie, quand Chaillot donne carte blanche à Syhem Belkhodja pour booster les liens chorégraphiques entre Tunis et Paris, juste après avoir présenté les Four New Works de Lucinda Childs, qui amènera donc ses dernières nouvelles chorégraphiques newyorkaises. Si on connait Childs depuis longtemps, le mois d’avril offrira l’occasion de faire connaissance avec la Londonienne Holly Blakey qui travaille à partir de danses sociales comme de ses propres expériences de vie et de ses traumatismes psychiques et corporels. La jeune chorégraphe vient avec Phantom, créé en 2021 et sa toute nouvelle pièce, A Wound with teeth, toutes les deux écrites pour dix interprètes.
En avril, Soa Ratsifandrihana offre quelques entrées en matière malgache, par une partition chorégraphique et musicale très contemporaine. Quatre interprètes, dont la chorégraphe, pour un Fampitaha, Fampita, Fampitàna, une partition composée comme du free jazz et faite de liberté contemporaine comme de réminiscences de traditions séculaires (lire notre critique).
En juin, un peu de flamenco, dans une année entre deux éditions de la biennale de Chaillot (on l’espère), voilà l’incontournable Rocío Molina avec Carnación, solo de danse flamenca et contemporaine que la vedette centre cette fois autour de questionnements liés au désir, sacré ou profane. Mais cette création est en même temps un concert et tour de chant par l’inénarrable Niño de Elche, vu il y a peu aux côtés d’Israel Galván, dans le fabuleux Melizzo Doble.
Pour compléter le tour des continents, la Sydney Dance Company reprend le flambeau australien, notamment avec Love Lock de Melanie Lane qui interroge les pistes d’une danse folk des temps futurs, alors que Rafael Bonachela s’inspire du feu, et notamment d’incendies, en pleine nature ou sur des monuments historiques. Le directeur artistique de la troupe crée Impermanence en s’intéressant à la fascination que les flammes peuvent exercer sur l’âme humaine.
Chaillot, de toutes les fêtes
En décembre, la coupe du monde de danse électro arrive avec ses battles, pour la deuxième année consécutive, alors que le mois de février est placé sous le signe de la pop, en musique et danse puisque « la musique pop ne se conçoit pas sans la danse » et que « beaucoup d’artistes pop sont de remarquables danseurs » et que c’est Chaillot qui le dit. Pour décliner la pop en Plateau mystère, Plateau surprise et weekend Expérience. Et qui dit pop, dit fête. Dans la série d’événements gratuits d’accès (on répète : gratuits !) de la série Chaillot Invite, le tour sera aux danseurs du parvis (celui de Trocadéro, s’entend) qui pratiquent glisse et danses urbaines, des rollers à la K-Pop.
Deux spectacles résonnent avec cet accueil de la jeunesse et le thème sous lequel Rachid Ouramdane place la saison 2025/2025. D’une part, Crowd de Gisèle Vienne [notre critique], où la chorégraphe qui sait tant troubler nos sens montre la face cachée d’une rave party. Et d’autre part, Tendre Carcasse d’Arthur Perole [notre critique], où les jeunes danseurs de la compagnie se font l’écho de plus jeune qu’eux, puisque cette pièce est le fruit d’une enquête menée par la chorégraphe auprès d’un groupe de collégiens qui dévoilent leurs inquiétudes face à la vie et au onde, mais aussi une belle envie de faire la fête.
Quant aux 40 ans des CCN français fêtés en 2024, Chaillot leur consacre un événement à révéler ultérieurement. Il vade soi que les CCN seront présents dans la programmation, au cours de la saison : Come Kiss Me Now d’Alban Richard (CCN de Caen en Normandie), Débandade d’Olivia Grandville (CCN de La Rochelle), un triptyque d’Angelin Preljocaj (Annonciation, Un Trait d’union, Larmes blanches), d’amour, pièce tous publics de Thomas Lebrun (CCN de Tours), un double programme par Ballet de Lorraine (a Folia de Marco da Silva Ferreira et Static Shot de Maud Le Pladec), la création 2025 de Mehdi Kerkouche (CCN de Créteil et du Val-de-Marne), Aina Alegre avec RAUXA (même si la création date d’avant sa nomination) et Close Up de Noé Soulier (CNDC d’Angers), son interrogation sur le regard face au geste, en éclairant le contraste entre l’ambiance du clair-obscur et une présence des corps quasiment chirurgicale.
A ces quarante bougies s’ajoutent les trente de la Batsheva ! La compagnie si longtemps dirigée par Ohad Naharin vient avec un programme anniversaire tout à fait particulier. Où Naharin, toujours proche de cette troupe si exceptionnelle, reprend Anafaza, pièce fondatrice créée en 1993. Et Naharin sera sur le plateau ! Non pour danser mais en tant que musicien, dans ce qui sera une nouvelle version d’une pièce qui n’existe plus que dans la mémoire des uns et des autres et qu’il recrée pour l’interroger dans le monde actuel.
Et les autres ? Ces chorégraphes indépendants français qui écrivent tant de belles pages de l’histoire de la danse ? Emanuel Gat sera programmé par Chaillot au Théâtre de la Ville avec sa nouvelle pièce coup-de-poing sur la musique de Kanye West et Beethoven : Freedom Sonata [ notre critique].
Blanca Li ouvre son mandat à La Villette avec une aventure de Chaillot Nomade (probablement) prévue à la Grande Halle avant même que la Madrilène (qui quitte la direction des Teatros del Canal) soit nommée à la présidence de La Villette, alors que la compagnie nationale norvégienne Carte Blanche présente au Théâtre de la Ville Monument 0.10 : The Living Monument d’Eszter Salamon, une forme nouvelle dans sa série qui interroge notre rapport à l’histoire et à l’inconscient, ici dans de vibrants tableaux monochromes. Sans oublier les autres protagonistes de la danse, qu’ils soient établis comme Emmanuelle Huynh, Nacera Belaza, Amala Dianor, Julie Nioche, Johanna Faye et Dimitri Chamblas ou émergents et à découvrir.
Thomas Hahn
Chaillot Théâtre national de la Danse
Photo de preview : Tiaen Tiamen de la Bulareyaung Dance Company © Lee-Chia Yeh
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