"…How in salts desert is it possible to blossom…" de Robyn Orlin
À Montpellier Danse colorié par Robyn Orlin, les couleurs et les Coloured people d’une région inconnue d’Afrique du Sud, dans un concert chorégraphique enchanteur.
On ne va pas voir une création de Robyn Orlin pour sonder des nuances de gris ou broyer du noir. Il faut au contraire s’attendre à tomber sur une explosion de couleurs et de rythmes. Dans We wear our wheels with pride and slap your streets with color…, Orlin évoquait, notamment à Montpellier Danse en 2022, les tireurs de rickshaws zoulous qui l’avaient émerveillée pendant son enfance en Afrique du Sud, avec de véritables explosions chromatiques…
Galerie photo Laurent Philippe
En plus égrené, mais non moins spectaculaire, se présentent les quelques 3.500 variétés florales qui se mettent soudainement à éclore dans un paysage désertique, chaque année après les pluies d’hiver, dans une région semi-désertique d’Afrique du Sud, près de la frontière avec la Namibie. Autant de coloration, c’est quasiment trop pour un plateau de théâtre, même si on y invite quatre danseurs, une comédienne et un duo musical, tous rassemblés et en costumes éclatant de couleurs, pour explorer les possibilités de floraison dans un désert de sel : …How in salts desert is it possible to blossom…
Les Coloured people
Dans cette région, le Namaqualand, les mines de cuivre, jadis considérées comme les plus riches du monde, furent exploitées pendant plus d’un siècle, jusqu’aux années 1980. Et après ? De la désolation, de la contamination des sols et la ville d’Okiep avec son township, tombés dans un état d’extrême pauvreté. Par ailleurs, la population de cette région est désignée comme Coloured, terme désignant en Afrique du Sud un métissage ethnique. Ces personnes ont en effet des ancêtres mixtes, entre la population nama et les colonisateurs allemands, belges ou indiens. Cela pourrait être symbole de rencontres cosmopolite, mais dans la réalité le métissage isole les ces populations en leur propre pays. Sous l’Apartheid ils subissaient le racisme des colons. Après la libération, ils se retrouvent considérés comme pas assez noirs. Le métissage peut se muer en impasse…
Galerie photo Laurent Philippe
C’est donc à Okiep que Robyn Orlin a rencontré le Garage Dance Ensemble, petite troupe de danse qui travaille, comme son nom l’indique, dans un ancien garage, sous la chaleur et les coupures d’électricité quotidiennes. Fondée par Alfred Hinkel et John Linden, deux fils de cette région, la modeste compagnie cultive son propre style de danse, nourri en partie par les traditions locales des San, Nama ou Khoi. Comment Orlin a-t-elle atterri dans cette ville sans emplois et presque sans emploi ? Pas à cause des fleurs, mais puisque Hinkel et Linden avaient jadis participé à certains stages dispensés à Johannesburg par Orlin, qui avait depuis suivi leurs activités, de loin voire de très loin.
Retrouvailles
Travailler avec le Garage Dance Ensemble lui faisait aussi retrouver l’une de ses langues maternelles, l’Afrikaans, dérivé du néerlandais. « Une très belle langue », dit-elle, « mais quand je la parle, les danseurs rient parce que ma version de cet idiome, par ailleurs si chargé d’histoire coloniale, est aujourd’hui démodée. » On entend cette langue dans les chansons écrites par Anelisa Stuurman et Yogin Sullaphen, le duo uKhoiKhoi qui avait déjà montré son approche très libre voire libertaire entre racines et futurisme, dans We wear our wheels… Et Orlin d’expliquer : « Je sens de plus en plus que je ne rencontre pas une compagnie en tant que chorégraphe, mais pour permettre aux interprètes de laisser surgir ce qui se cache en eux et qu’ils n’avaient pas encore eu l’occasion de dévoiler. »
Galerie photo Laurent Philippe
Quant aux marguerites qui ont rendez-vous à chaque printemps avec le soleil d’Okiep, elles sont selon Orlin « symbole de paix et de prospérité. » On en a besoin, vivement, et surtout en ces temps qui s’annoncent de plus en plus sombres, pourrait-on ajouter. Aussi ce spectacle, inspiré chromatiquement et symboliquement par une floraison (apparemment) ex nihilo, développe un côté poétique et presque romantique qu’on ne connaissait pas chez Orlin. Car si cette figure cosmopolite, née en Afrique du Sud et Berlinoise d’adoption, dit amener aux interprètes la possibilité de dévoiler des facettes non explorées, les danseurs lui renvoient l’ascenseur. On redécouvre alors Orlin sous un jour différent, particulièrement rayonnant.
Faire fleurir les déserts politiques
On aime le côté concert chorégraphique cette fois plus présent encore, l’attitude ici particulièrement chaleureuse et le lien humain que les performers développent avec le public, le côté guinguette de certaines de leurs danses. On apprécie l’absence de discours explicite comme la sincérité de la démarche et des interprètes. Et bien sûr, les couleurs flamboyantes des costumes de Birgit Neppl qui part de réminiscences ethniques pour arriver à des formes de transparence et de douceur ainsi qu’à des éclats presque queer.
Galerie photo Laurent Philippe
Aussi le désert de sel à l’espérance florale tombe à pic. En tournant en France et en Italie, Orlin explore deux pays qui ont leurs formes de désertification culturelle à traverser ou à craindre pour un avenir proche. Si le paysage artistique se met à ressembler à une mine de cuivre abandonnée, il fait bon penser qu’une floraison nouvelle reste possible. Et surtout, l’exemple du Garage Dance Ensemble montre que la danse peut fleurir dans les endroits les plus isolés, qu’elle sait résister, s’épanouir et briller comme ces interprètes tout droit sortis d’un garage d’Okiep.
Thomas Hahn
Vu le 22 juin 2024, Festival Montpellier Danse, Théâtre Grammont.
Conception : Robyn Orlin avec Garage Dance Ensemble et uKhoiKhoi
Danse : Byron Klassen, Faroll Coetzee, Crystal Finck, Esmé Marthinus, Georgia Julies
Musique originale : uKhoiKhoi - Yogin Sullaphen, Anelisa Stuurman
Costumes : Birgit Neppl
Direction technique : Thabo Walter
Vidéos : Eric Perroys
Lumières : Vito Walter
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