Aurélie Dupont sur les traces de Martha Graham
Aurélie Dupont en répétition avec Viriginie Mécène avant la création d' "Ekstasis" à l'Opéra de Paris. Reportage exclusif.
31 août, nous retrouvons Aurélie Dupont et nous dirigeons vers la Classe A, un studio modeste, presque au cœur de l’Opéra de Paris. C’est là que l’actuelle directrice de la Danse répète Ekstasis, une création de Virginie Mécène d’après l’œuvre de Martha Graham (lire notre entretien).
Passant d’une tenue de travail à une robe de répétition très près du corps, Aurélie se place au milieu du studio. Déjà hiératique. Comme Graham voyait – non pas les femmes – mais La femme, tellurique, puissante, solitaire. « Ça fait trois ans que je n’ai pas dansé sur le plateau de l’Opéra, souffle-t-elle à Virginie Mécène, depuis mes Adieux. »
Son premier déhanché stupéfie par sa force soudaine, instantanée, inattendue. Nous sommes happés par ce solo sculptural, avec son énergie contenue du début à la fin, sorte de « mystère primitif » qui nous renvoie à des figures archaïques, grecques ou égyptiennes, mais aussi très actuelles dans leur épure et leur simplicité.
Virginie Mécène transmet les dernières indications à Aurélie Dupont : « garder la main avec les doigts fermés pour ne pas attirer l’attention et dégager la sculpture des hanches. », Aurélie, comme si elle essayait de sortir de sa robe, repousse les limites de l’espace. « Là tu laisses tomber le poids du corps dans le bassin » ponctue Virginie.
« Dans ce solo, il y a quelque chose de sobre et simple dans la façon de placer les bras, remarque Aurélie, tu les allonges et ils montent naturellement»
« C’est la mémoire ancestrale des corps, la texture du mouvement part de l’appui des pieds » explique Virginie
Aurélie : « Tu m’avais déjà parlé des appuis et là, je sens que ça me soutient énormément. »
Virginie : « C’est un dialogue avec ta propre anatomie »
Aurélie : « C’est un style que je respecte si profondément que j’ai peur de prendre trop de libertés »
Virginie : « Il ne faut pas avoir peur d’expérimenter. En fait, Martha Graham disait qu’il fallait se sentir vivant de l’intérieur, sentir ses organes, c’est une question interne et non formelle. Ce qui est très beau, c’est l’individualité. »
Aurélie : « Ce sont des sensations que l’on perd quand on arrête de danser. C’est pourquoi je tiens à continuer pour pouvoir transmettre cette expérience aux danseurs. C’est un champ de connaissances que l’on découvre avec la maturité, avec le recul, en affinant ses perceptions du mouvement mais aussi d’une intériorité qui vient avec le temps...»
Virginie : Aurélie a toute une histoire avec Martha Graham ! Elle a déjà repris Appalachian Spring à New York alors quelle venait de quitter l’Opéra… »
Aurélie : Et je m’indignais que la compagnie ne soit jamais invitée à l’Opéra de Paris ! Quand j’ai été nommée directrice de la Danse, j’ai tout de suite pensé à la compagnie… et Janet m’a proposé de danser ce solo…
DCH : Aurélie, d’où vous vient cet amour pour Martha Graham ?
Aurélie Dupont : J’ai découvert Martha Graham à l’Ecole de danse, avec Claire Beaulieu, en 3e division. J’avais 13 ou 14 ans, je détestais, je ne comprenais rien à ce type de mouvement. Et puis en 2nde division, j’ai eu une révélation. Au sens plein du terme. Ça s’est imposé à moi comme une évidence. J’ai brusquement perçu le sens du mouvement, d’où il venait, et ça m’a passionné. C’est une grande technique. Difficile, mais d’une structuration parfaite, permettant d’explorer de nouvelles connexions corporelles, d’autres façons d’appréhender la danse.
J’ai donc gardé ça en moi et je l’ai utilisé, même pour le classique. Par exemple, au IIe acte de Giselle, à la fin du Pas de deux, quand elle se place au-dessus de son partenaire, c’est une contraction grahamienne.
DCH : Avez-vous pu danser du Graham à l’Opéra ?
Aurélie Dupont : Justement. J’ai dansé Temptations of the Moon quand j’étais très jeune et ensuite, je n’ai jamais été distribuée les rares fois où l’on avait du Graham au programme. Et quand je voyais d’autres danseurs dans cette pièce ou dans Lamentation, ça m’énervait, j’aurais tellement voulu les danser. Quand je suis partie à la retraite, la première chose à laquelle j’ai pensé a été de retrouver la technique Graham. J’ai récupéré, je ne sais même plus comment, le numéro de téléphone de Janet Eilber, la directrice de la Martha Graham Dance Company et je suis partie pour New York !
DCH : Pourquoi était-ce important pour vous ?
Aurélie Dupont : C’était vraiment un besoin, en tant qu’interprète mais surtout en tant que femme, d’aller à l’essentiel, de trouver une autre voix. C’est une histoire qui vient de loin, un véritable amour pour Martha Graham et tout ce qu’elle a su développer.
Ce que j’aime dans la technique Graham, c’est sa complémentarité avec le classique. Ce n’est pas si fréquent avec le contemporain. Et puis, c’est tout un pan de l’histoire de la danse encore vivante, par exemple, les œuvres de Martha me font penser à certaines pièces de Pina Bausch, surtout dans le Sacre du printemps. Ces ballets des années 1935/1940 de Graham ont une telle modernité, y compris esthétiquement ! Et j’adore me nourrir de techniques, de styles différents, et les replacer discrètement dans les ballets classiques. Ça me fait évoluer, ça transforme aussi un peu la danse classique... Je constate tous les jours l’intérêt du contemporain pour le travail de la danse classique. Il autorise un rapport au corps différent. Souvent d’ailleurs, les très bons danseurs classiques sont aussi doués pour le contemporain, car ça demande une même liberté dans la façon d’aborder la danse.
Enfin, Martha Graham était une femme, sa technique se fonde sur le corps de la femme, ses chorégraphies sont hyperféminines et en exploitent toutes les figures, même les plus sombres. Et ça aussi, c’est rare.
Reportage : Agnès Izrine - Photos : Jean Couturier
Programme Martha Graham Dance Company à l'Opéra de Paris - Palais Garnier du 3 au 8 septembre 2018. Cave of the Heart (3, 4, 5), Appalachian Spring (6,7,8) Ekstasis, Lamentation Variation, Rite of Spring (Le Sacre du printemps) tous les jours à 19h30.
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