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Un cercle autour du feu, un voyage en duo vers les espaces obscurs des origines, où fusionnent deux corps au féminin. 

Tatiana Julien est chorégraphe, mais aussi, et c’est au moins aussi important, créatrice d’espaces scéniques et metteure en scène in situ. Le Château de Vincennes l’avait superbement inspirée pour June Events, en 2018 [lire notre article]. Peu après elle imagina le dispositif bi-frontal de son solo Soulèvement, créé au festival Transdanses en 2019 [lire notre critique].  De retour à Chalon sur Saône en ce mois de novembre 2022, elle a invité, pour sa nouvelle création, le public sur le plateau, où une petite centaine de personnes formaient un cercle nocturne, un peu comme on se réunissait, longtemps avant l’invention des amphithéâtres, autour d’un feu pour écouter des histoires ou peut-être regarder des personnes se raconter par le mouvement. 

Le feu y est, le cercle aussi. Ensemble, on replonge dans la nuit des temps, dans un abîme noir mais réconfortant, au fond d’une forêt peut-être, ou bien dans un état inconscient d’avant la naissance. Au cours de ce voyage qu’on imagine tout à fait durer Une nuit entière, Anna Gaïotti et Tatiana Julien font vaciller toutes les membranes. La fusion de leur corps et de leurs cœurs ne dure qu’une heure, mais se prolonge au for intérieur des spectateurs comme rarement un spectacle de danse. Il est même possible que leurs contorsions, comme sortant de l’inconscient, ne forment pas une pièce de danse proprement dite. Car l’objet, aussi orfèvre soit-il, est hors normes et catégories. 

Dans Soulèvement Tatiana Julien évoluait comme pour un défilé de mode, entre deux gradins en face à face, créant une agora où circule la pensée politique et insurrectionnelle. Dans Une nuit entière, le cercle est la configuration naturelle pour un duo qui est né de sa rencontre avec Gaïotti lors d’une carte blanche qu’elle assura au club parisien Silencio (fondé par David Lynch) où les deux ont créé les premières vibrations de ce duo en performant sur le petit plateau mais aussi en traversant les espaces intimistes accueillant le public, pour croiser leurs solo respectifs, Soulèvement  et Plus de muse mais un troupeau de muets. 

Dans Une nuit entière, le cercle intimiste et nocturne fait tomber toute séparation scène-salle et les gestes sont de l’ordre de la manipulation d’un corps inerte, alors que la source de l’énergie qui crée les mouvements des deux êtres en fusion reste obscure. On est bien ailleurs que dans l’idée habituelle d’une danse où le déplacement des corps suit une volonté de l’esprit ou un concept spatio-temporel. Entre Gaïotti et Julien, l’abandon de l’une à l’autre et leur plongeon commun dans un empire de sensations débordent doucement en direction du public. Toutes notions d’espace et de temps floutées, on entre dans l’univers utopique d’une profonde empathie.

La remise en question des frontières spatiales ne tombe pas du ciel. Dans leurs solos, Julien et Gaïotti abordent les identités genrées pour les dépasser entre rites, mythes et icônes ancestrales et contemporaines. Par contre, elles laissent les looks neutres aux autres, car elles préfèrent les images fortes, exultant la féminité comme la masculinité dans une même vision iconique. Dans Une nuit entière, la balance penche vers un univers radicalement féminin et intimiste sans faire des deux termes une extrapolation de celui de féministe. Mais leur chemin vers un état originel vaut mieux que tous les discours éco-féministes dansés. 

Thomas Hahn

Vu le 16 novembre 2022, festival Transdanses, Espace des Arts de Chalon-sur-Saône

A l ' Espace Cardin - Paris jusqu'au 13 décembre 2022

Lire également notre entretien

Chorégraphie et interprétation :Tatiana Julien et Anna Gaïotti
Création sonore et musicale : Gaspard Guilbert
Création lumière : Kévin Briard & Agathe Patonnier 
Régie générale : Kévin Briard & Agathe Patonnier
Costumes  :Catherine Garnier
Assistante chorégraphique : Clémence Galliard
Accompagnement en fasciapulsologie : Marion Blondeau
Coach vocal : Dalila Khatir