« La Fuite » de Lionel Bègue
Nous étions curieux de voir la version définitive, prête à diffuser et même à exporter, de La Fuite, du danseur et désormais chorégraphe Lionel Bègue. Nous n’avons pas été déçu, bien au contraire.
On se souvient que le Bateau feu de Dunkerque, producteur délégué de la pièce, nous en avait offert une étape de travail au printemps dernier. (lire notre critique) Depuis lors, Bègue a développé son propos, en a épuré la forme, doublé la durée. Sans qu’à aucun moment on ne ressente de temps mort, ce qui, en soi, est remarquable, s’agissant d’un solo. Et bien que de mort, pour partie il soit question dans cette parabole cynégétique inspirée de la légende de Diane et Actéon. Chacun sait que ce mythe d’origine grec, qui fut traité par Ovide dans le livre III des Métamorphoses a fait florès. Rien qu’en peinture, il a donné naissance à maints chefs d’œuvre, que ce soit du Titien, de Rembrandt, de Giordano, de Boucher ou de Gainsborough. Marc-Antoine Charpentier l’a adapté à l’opéra tandis que Marius Petipa en a tiré un pas de deux, joint en bonus à son ballet La Esmeralda. Plus près de nous, à la fin des années 80, sur une musique de Steve Lacy, Susan Buirge chorégraphia sur le même thème une Artémis.
Il n’est pas impossible que le sujet de La Fuite ait été soufflé, consciemment ou non, à Lionel Bègue, artiste originaire de La Réunion, par la question ô combien tragique du marronnage, c’est-à-dire par la tentative d’échappée belle à la condition d’esclave. Il va de soi que le thème a une dimension existentielle, pouvant être d’ailleurs diversement interprétée. D’autant que la métaphore du chasseur devenu proie se combine, en tout cas dans la fable d’origine, au voyeurisme et, par là même, à la notion de spectacle. La blessure, pantomimiquement suggérée par le bandage d’un arc et le leitmotiv de la main droite portée derrière la nuque, a pour conséquence la mort. Celle-ci, dans la variation de Lionel Bègue est suivie d’une résurrection, d’une forme de métempsychose ou de réincarnation animalière.
De fait, l’écoulement chorégraphique est également cyclique, rythmé, nous a-t-il semblé, d’éléments récurrents ou mis en boucle. Ceux-ci n’ont pourtant rien de pesant, rien de redondant, encore moins de lourdaud. Il faut dire qu les mouvements sont d’une rare fluidité. Tout aussi subtils que la musique postromantique choisie par le chorégraphe, La Nuit transfigurée d’Arnold Schönberg.
La structure paraît toute simple. Après une phase de tâtonnements, de fausses hésitations, d’intermittences du geste soulignées par les effets lumineux de la talentueuse Annie Leuridan – pénombre ambiante, papillonnement nitescent, infimes clignotements, coupures surprenantes de courant à la manière de Forsythe – le chorégraphe suit de près les épisodes du récit mythologique. La tenue de l’interprète est tout aussi sobre : un T-shirt beige vite trempé de sueur et un pantalon droit en toile couleur anthracite. La danse libre va nu pieds. Elle se donne ici avec élégance, avec douceur, avec aisance. La métamorphose du nemrod en faune, du prédateur en dépouille, de l’admirateur en bête traquée nous fait songer aux pensées volantes d’André Breton dans Nadja : « J’ai toujours incroyablement souhaité de rencontrer la nuit, dans un bois, une femme belle et nue, ou plutôt, un tel souhait une fois exprimé ne signifiant plus rien, je regrette incroyablement de ne pas l’avoir rencontrée (...) J’adore cette situation qui est, entre toutes, celle où il est probable que j’eusse le plus manqué de présence d’esprit. Je n’aurais même pas eu, je crois, celle de fuir. »
Nicolas Villodre
Vu le 7 novembre 2019 au Centre culturel des Mazades, à Toulouse, dans le cadre du NeufNeuf Festival.
Tournées
le 20 novembre 2019, dans le cadre du festival Total Danse, TÉAT RÉUNION - Théâtres départementaux de La Réunion
les 6,7 et 8 février 2020 Le Bateau Feu - Scène nationale Dunkerque
le 29 mars 2020 La Scène du Louvre Lens
avril 2020 Le Ballet du Nord / Centre Chorégraphique National Roubaix Hauts-de-France
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