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« Et maintenant ? » de Cécile Rogue

Excellente surprise que cette brève cinédanse réalisée en 2022 par Cécile Rogue, conçue par Julien Meyzindi, interprétée par lui et Dorothée Gilbert, produite et distribuée par Naïa Productions, découverte en avant-première à l’auditorium de la SACD.

À partir d’un simple sujet, celui d’un… sujet de l'Opéra de Paris qui fait ses adieux à l’illustre établissement, âgé de quarante-deux ans, ainsi que d’un texte de sa plume dit par lui qui, selon Séverine Lathuillière, la productrice du court, pourrait devenir un jour un long métrage, le danseur-chorégraphe et la cinéaste ont réalisé un remarquable objet filmique. En partie aussi grâce à Virginie Pichot (image), Nathalie Vidal (mixage), Sandrine Cheyrol (montage), Emilio Salemi (prise de son), Pablo Pico (musique), Thomas Debauve et Ike No Koï (étalonnage) et à la participation exceptionnelle de la soprane Gaëlle Méchaly et de l’étoile Dorothée Gilbert. Cet opus mérite d’être qualifié d’œuvre dans la mesure où il gagne à être revu.

Le titre se réfère à la chanson de Gilbert Bécaud  Et maintenant (1961), clairement démarquée du Boléro de Maurice Ravel qui fut créé par Ida Rubinstein en 1928 à Garnier et repris dans la version béjartienne de 1960 par nombre de solistes, femmes ou hommes en alternance, parmi lesquels Julien Meyzindi qu’on voit d’ailleurs répéter dans un studio de l’illustre maison. L’ostinato rythmique est martelé non à la caisse claire comme dans la version originale mais par les notes basses du piano. Si Bécaud s’adressait à une femme censée l’avoir quitté, Meyzindi interpelle – en la tutoyant– la maison à laquelle il tourne littéralement le dos, après la trentaine de premiers plans d’à peine quelques photogrammes chacun. Ce rapide flashback le montre en garçonnet (joué par Louis Boimond) parcourant en tous sens les étroits couloirs du palais Garnier. Ainsi, métaphoriquement, Meyzindi bat en retraite.

D’autres souvenirs ponctuent le parcours accéléré par le montage alerte, qui montrent la danse hors scène. Que ce soit en boîte de nuit (au milieu des figurants Amélie Augis, Gustave Ballard, Louison Basset, Zoé Faytre, Daniel Gerson, Delphine Menjaud, Lola Messica, Violette Novat) ou avenue de l’Opéra, la scène étant tournée à la manière d’un Stanley Donen ou d’un Jerome Robbins (l’ex-sujet étant entouré d’un « corps de ballet » formé de Coralie Berquer, Olivia Bouis, Kabba Jallow, Alice Kok et Gabrielle Santoni). La séparation est marquée par la solitude du soliste, parmi la foule ou quasiment nu allongé sur le grand escalier en marbre donnant accès à la salle de théâtre. Le commentaire évoque naturellement la question du corps, non plus de celui du ballet mais du danseur lui-même.

Un corps qui le trahit ou l’a déjà trahi, atteint par la maladie, contrariant les promotions espérées jusqu’au culmen stellaire. La chute, symbolisée par le passage du marbre au sable. Et du sable à l’écoulement marin. Le solo vire au pas de deux que Julien Meyzindi a chorégraphié et qu'il danse avec Dorothée Gilbert, sans doute la meilleure séquence de danse du film. Un retour aux sources, à l’Agora du Montpellier natal. C’est là qu’il découvrit la danse, nous a-t-il confirmé, d’abord dans un cours d’éveil corporel, un cours de jazz « pour imiter Michael Jackson », puis dans du classique, au conservatoire régional de Montpellier. C’est là qu’un enseignant du CNSM de Paris le repère lors d’un stage puis conseille à ses parents de le préparer au concours d’entrée à l’Opéra. Le professeur en question était Alain Davesne (1933-2021), danseur, chorégraphe et maître de danse classique.

La qualité du film tient surtout au soin apporté au montage. Celui-ci n’use pas d’effets convenus et redoutés de ralentis ou d’accélérés. Les plans précipités de l’entame n’ont rien de ceux habituels des clips ou des pubs. Ils attirent l’attention du spectateur tout en illustrant avec dynamisme la course enfantine. Très tôt, la réalisation recourt au montage parallèle. La juxtaposition des plans se fait de façon cut. Tout est net et précis. Monteuse et réalisatrice jouent sur les contrastes ou, au contraire, sur les raccords dans le mouvement – un geste débuté dans un lieu s’achève dans un espace éloigné. Ce montage parallèle trouve son équivalent dans le mixage, montage sonore tout aussi subtil, avec la voix off du danseur, formé à la comédie par une coach pour les besoins du film, voix qui se dédouble et remplit deux fonctions distinctes : celle du récit ou du souvenir et celle de l’impression ou de l’instant présent.

Nicolas Villodre

Vu le 15 février 2023 à la SACD.

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