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Entretien avec Tiago Guedes

Diplômé de l’École Supérieure de Danse de l’Institut Polytechnique de Lisbonne en 2000, danseur et chorégraphe de 2001 à 2013, le Portugais, Tiago Guedes, qui dirigeait le Théâtre municipal de Porto depuis 2014, est devenu le nouveau codirecteur de la Biennale de Lyon, directeur artistique de la Biennale de la danse et des futurs Ateliers de la danse. Il a développé pour nous son projet.

DCH : Qu’est-ce qui vous a poussé à candidater à la direction de la Maison de la Danse et de la Biennale de Lyon ?

Tiago Guedes : J’ai un double parcours, d’artiste et de programmateur. En tant que danseur et chorégraphe j’avais commencé à programmer, ce qui équivalait pour moi à un acte artistique. Avec d’autres artistes, nous avions donc monté un festival très collectif, pluridisciplinaire, qui se déployait dans des petites villes au Portugal en relation avec la population. Cet endroit du centre du Portugal est celui où vit ma famille. Il n’y a pas de structures culturelles. Et j’ai trouvé intéressant de penser la programmation comme une création à plusieurs avec beaucoup de monde. Longtemps j’ai mené de front mes propres projet et le festival puis j’ai été sollicité pour diriger le théâtre Virginia à Torres Novas toujours dans cette même région. Quand est arrivé l’appel à projet pour postuler au théâtre de Porto, en connexion avec l’arrivée d’un nouveau maire, qui voulait faire de la Culture un axe politique très fort, j’ai laissé de côté mon travail d’artiste pour me concentrer sur ce travail de programmateur et de directeur de lieux – car il s’agissait de rassembler plusieurs structures différentes pour en faire le théâtre municipal de Porto. La métropole m’a proposé de faire un festival de danse et ensuite, la mairie nous a donné une ancienne école primaire, pour créer un centre de recherche artistique, avec quatre studios de danse.

Nous étions déjà connectés avec Lyon. Nous étions partenaires du Pôle Européen de création. Dominique Hervieu avait invité trois partenaires internationaux, le festival GREC de Barcelone, le théâtre de Liège et nous. Donc nous proposions un artiste portugais à chaque Biennale. C’est là que la France a découvert Marco Da Silva Ferreira pour la première fois, Mais aussi Claudia Diaz, ou moi-même en tant qu’artiste en 2008. Donc je connaissais le contexte de lyonnais, je venais tous les deux ans pour la Biennale. Entre-temps, à Porto, où j’étais depuis huit ans, la danse avait pris une grande place, en complémentarité avec les autres

Quand j’ai vu passer l’appel à candidature pour Lyon, je me suis dit que c’était le bon moment pour postuler dans ce contexte unique pour la danse. C’est un territoire riche d’une histoire, d’un patrimoine, d’un socle très important, mais aussi à partir duquel l’avenir de la danse pouvait être pensé.

Pour candidater j’ai dû plonger dans cette ville, rencontrer des gens que je connaissais mal, découvrir d’autres aspect de cette ville dont je n’avais finalement qu’un aperçu très impressionniste. C’est une cité impressionnante avec de nombreuses couches, institutionnelle, touristique, underground, et différentes temporalités, vélocités, avec des institutions en pleine mutations. Tout ça m’a vraiment donné envie pour vouloir m’installer à lyon. Car s’il y a un endroit au monde où développer la danse c’est bien Lyon.

DCH : Pourquoi avoir intitulé votre projet On(l)y danse ?

Tiago Guedes : C’est le nom du projet On(l)y danse un futur partagé pour la danse à Lyon. il part de ce jeu de mot, dans le sens où il y a ce contexte presque unique au monde, avec la Maison de la Danse, la Biennale et bientôt les Ateliers de la danse, des structures qui travaillent ensemble et que sur la danse. « On y danse » c’est tout autant une invitation à danser avec les artistes, qu’une façon de mettre en avant les pratiques amateurs et de se projeter dans les futurs Ateliers de la danse. C’est en même temps un constat et une invitation pour que les gens puissent être avec nous dans cette construction d’avenir.

DCH : Dans votre projet vous proposez « de donner aux trois entités Maison de la Danse, Biennale de Lyon et Ateliers de la Danse une identité commune ». Mais les deux premières n’ont elles pas déjà cette identité commune ?

Tiago Guedes : Mon envie, l’envie des tutelles, car il y avait un cahier des charges extrêmement précis, c’était de créer un pôle danse qui relie les trois entités. Cette identité commune nous sommes en train de définir comment nous allons l’imaginer, par rapport à sa communication, parce que, par rapport à son quotidien, c’est facile :  c’est la même équipe pour les trois projets depuis toujours. Mais il y a un moment, même pour le public, où il faut affirmer les choses.

Les Ateliers de la danse vont avoir une salle de création avec un plateau technique, des ateliers pour les pratiques amateurs, des résidences artistiques, donc nous aurons un dispositif complet avec un endroit pour la recherche, qui servira également à présenter des spectacles un peu plus « underground » puisque c’est gradiné à 450 places, et une Biennale pour montrer les créations internationales dans toute leur diversité sur tout le territoire. Et ces trois projets il faut les présenter de manière intégrée, pour leur donner une identité commune même s’ils sont gérés par chacune des entités.

Je suis arrivé depuis un mois et je suis dans le moment où l’on passe de la théorie à la pratique.

DCH : Vous souhaitez créer un groupe de neuf chorégraphes associé·es. Pourquoi ?

Tiago Guedes : Je trouve le terme associé un peu lourd, et un peu cloisonné, donc il y aura neuf artistes complices, compagnons, nous verrons quel terme choisir. Ils seront avec nous pendant trois saisons. Ces neufs artistes au cœur du projet circuleront dans les trois entités à différents niveaux. Donc nous sommes en train d’imaginer avec eux comment articuler ce trajet des artistes et de nouveaux projets. Créations, workshop, résidence, passation de répertoire aux élèves du CNSM, projet de préfiguration des ateliers de la danse dans le 8e arrondissement… beaucoup de possibilités s’offrent à nous, et nous n’inventerons pas le même modèle pour chacun des artistes. Nous allons composer avec chacun d’entre eux un projet artistique. Par exemple, il y a un projet qui me tient à cœur que j’appelle « cosmologie » : chaque fois que nous inviterons un artiste associé pour présenter une œuvre à la Maison de la Danse, nous lui demanderons aussi d’investir tout l’espace de la Maison, l’espace commun, le studio, le bar, le restaurant, y compris en s’entourant des autres artistes « associés ». Donc c’est une programmation en chaîne. Et je l’ai intitulé « Cosmologie » également au sens où chacun d’entre eux a un univers singulier nourri de connexions avec des scénographes, des musiciens; des interprètes qui peuvent être aussi de jeunes chorégraphes. Donc ce groupe de neuf artistes s’étend au-delà de ceux que nous allons coproduire ou présenter à la Maison ou à la Biennale. Ce sont des artistes qui pensent avec nous, la vie d’un lieu culturel.

DCH : Comment les choisissez-vous ?

Tiago Guedes : Ce sont des complicités artistiques, certains parce que j’ai déjà travaillé avec eux, d’autres parce qu’ils n’ont jamais été présentés à Lyon ; par exemple Lia Rodrigues, qui est pour moi l’une des grandes artistes chorégraphiques du monde n’est pas venue à Lyon depuis 2010. Et j’ai souhaité également réunir des artistes de générations et d’approches esthétiques différentes, ainsi que ceux qui ont des intérêts variés dans leurs démarches. Par exemple François Chaignaud, qui croise la danse avec les arts visuels et la musique ; Dorothée Munyaneza, qui a un très fort travail social mais souterrain, notamment avec des adolescents. Elle a fait un travail magnifique à Chicago dans un quartier délabré. Vincent Dupont, qui travaille sur la réalité virtuelle, le végétal, ou Jan Martens qui investit de grands plateaux. J’ai aussi sollicité Le Collectif Es de Lyon que j’aime beaucoup. Il se base sur les pratiques populaires, et va pouvoir se connecter avec le projet que nous allons développer sur tout l’arrondissement du 8e. J’aime à penser qu’à partir de maintenant ces artistes font partie de notre équipe.

DCH : Vous allez créer un nouveau festival intitulé Le 8e Festival. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Tiago Guedes : Ce projet a beaucoup de continuité. D’un côté le patrimonial, car la Maison de la Danse ne va pas changer, elle va rester la Maison de toutes les danses, c’est là sa force. Celle-ci a un temps fort : « La Maison sens dessus dessous ». Dominique Hervieu a eu la bonne idée d’aller trouver d’autres partenaires en ville pour programmer d’autres formats de spectacle que ceux de la Maison. Parce que la grande salle, avec ses mille places et son grand plateau suppose un certain type de spectacles. Donc il faut trouver d’autres contextes de programmation pour ne pas faire attendre deux ans certains artistes. Ce nouveau projet ne sort pas du 8e arrondissement pour aller présenter des artistes en presqu’île mais, au contraire, se concentre dans le 8e en préfiguration des Ateliers de la danse qui seront à trois minutes de la Maison de la Danse. Nous allons imaginer des partenariats avec des structures qui sont dans le quartier : L’Institut Lumière, l’Institut national de langue arabe, les MJC, la Mairie du 8e, le Nouveau théâtre du 8e, les lycées… Donc nous allons observer l’arrondissement comme un terrain de jeu, pour envisager ce temps fort. Et j’aime le jeu de mots, c’est le 8e festival, comme s’il existait le 7e ou le 6e… Il s’appuiera sur la participation des habitants car cet arrondissement a une énorme richesse sociale, avec plus de quarante nationalités. C’est un quartier divisé, avec un côté très populaire, et l’autre, plutôt bourgeois. Il existe une grande mixité culturelle et sociale qui va nourrir ce festival. Il ne sera pas seulement un festival de danse – pour ça on a la Biennale, mais un festival où le corps est au centre, du coup, la programmation peut être un concert, un projet participatif, une conférence…

Nous avons d’excellentes relations avec la mairie du 8e et notamment avec les équipes sociales de la mairie. Dans le cadre de la préfiguration des Ateliers de la danse, la mairie a mis à notre disposition le Nouveau théâtre du 8e qui pour l’instant est vide et attend une nouvelle direction. Nous avons tout de suite proposé un programme de résidences artistiques et nous allons accueillir dix artistes en résidence jusqu’à décembre. Beaucoup d’artistes font appel à la Maison de la Danse pour un accueil studio, et nous n’en avons qu’un seul donc ça tombe bien. Il ne faut pas oublier que la plupart des institutions culturelles sont au centre ville de Lyon, donc je pense que nous avons intérêt à faire venir les gens et souligner ce territoire dans la ville pour la danse.

DCH : Vous mettez également sur pied un nouveau programme destiné aux jeunes intitulé A toi ! Que recoupe-t-il ?

Tiago Guedes : A toi ! Comme à toi de décider, de faire tes choix… J’ai beaucoup pensé à moi adolescent. C’était très important d’avoir pu choisir mes parcours, prendre mes décisions. Et puis, la question des publics est capitale, et l’avenir ce sont les jeunes, et il faut amener de nouveaux publics aux institutions. Donc c’est un projet qui concerne la Maison et la Biennale, car, pour revenir à la question du début c’est en faisant des projets communs que nous pouvons développer une identité commune. Donc A toi ! se déploie sur deux ans, et démarre avec un groupe de jeunes de 16 ans qui finissent à leurs 18 ans. Ils commencent lors de la Biennale 23 et s’arrêtent après la Biennale 25. Entre-temps, il se déroule en saison à la Maison de la Danse. Donc l’idée c’est sélectionner douze jeunes de la métropole lyonnaise, qui feront partie de notre équipe et pourront faire des workshops, s’inscrire dans des projets participatifs. Nous avons inclus un module métiers de la culture : producteur, techniciens, chargé de communication, pour que les jeunes comprennent qu’un théâtre c’est beaucoup plus que les artistes sur le plateau. Mais nous voulons aussi les écouter, aller voir ensemble des spectacles pour avoir un retour de leur part. Pour la Biennale 23 nous souhaitons les entendre sur leurs préoccupations, leurs thématiques. Par exemple, s’ils disent que la thématique c’est l’écologie, l’équipe artistique va trouver des spectacles où l’écologie est centrale, on va discuter avec eux, leur faire rencontrer des artistes. Et ensuite : A toi (eux) de choisir quel(s) spectacle(s) tu veux défendre à la Biennale 25 !. C’est donc un projet mixte de participation, d’éducation, de formation mais aussi de programmation, ils vont choisir deux projets pour la Biennale 25. Comme les artistes complices, ils vont nous accompagner, et tous les deux ans arrivera un nouveau groupe.

DCH : La Biennale 25 va s’appeler Présent ! Pourquoi ?

Tiago Guedes : J’arrive à Lyon dans un très beau contexte artistique mais hors année biennale. Ça signifie que j’ai moins d’un an pour préparer la Biennale 23. Heureusement, Dominique Hervieu a laissé une liste d’artiste pour des coproductions déjà faites à 50%. La Biennale 23 sera un festival de transition Car beaucoup de projets sont déjà en cours.

Pour moi, la Biennale doit être beaucoup plus qu’une liste de spectacles qu’on rassemble dans une communication. Selon moi un festival doit avoir une partie de formation, une partie de réflexion, des fêtes, des lieux de rencontre.

Donc en 2025 je veux une Biennale très affirmée, très présente dans la ville et la région, et qui donne l’idée de ce qu’est le présent de l’art et la culture chorégraphique. La création d’aujourd’hui et comment ce présent dialogue avec la société, les grandes questions sociétales contemporaines. Comment la danse, le corps, le mouvement peuvent-ils donner des réponses, même si elles sont plus subtiles, plus abstraites par rapport à certains thèmes que je veux développer. Une Biennale inscrite dans son présent, et très présente dans la vie culturelle de cette ville.

DCH : Comment développez-vous ces thématiques ?

Tiago Guedes : Pour moi, la Biennale doit se développer sur les deux années suivantes. Car, selon moi, un événement comme celui-là doit avoir une action au-delà des trois semaines de septembre. De même, la Maison de la Danse doit avoir une action au delà de ses murs. J’aime beaucoup cette idée d’élargir les choses. Nous avons donc imaginé un projet qui n’a pas encore de nom avec cinq curateurs non européens. Il y aura un curateur du Mozambique, du Brésil, de New York, de Taïwan, d’Australie. Chacun va choisir cinq artistes de leur périmètre géographique et qui peuvent s’inspirer d’autres pratiques. Peut-être un artiste aborigène, ou amazonien, en tout cas des artistes qui ont d’autres relations avec le temps, avec l’argent, l’esthétique et la société. Donc ce forum sera aussi basé sur les pratiques non européennes qui peuvent nous inspirer. La Biennale est un grand rendez-vous mondial de la danse, mais il est au centre de l’Europe, à Lyon, donc je pense qu’il doit montrer ce qui se fait dans d’autres parties du monde, mais pas seulement en allant collecter des spectacles ici ou là et en les ramenant. Pour moi il faut ajouter des couches formation, théorique, développement des projets à long terme. Nous allons réaliser un forum en ligne dans les années « non biennale ». Donc en 24 ces cinq curateurs vont créer avec ces cinq artistes sur des thématiques que nous allons choisir ensemble. Et lors de la Biennale 25 ils viennent tous à Lyon et nous présentons ces projets, là où ils en sont. Ça peut être des conférences, des livres, des spectacles… Mais il y aura cinq nouveaux projets. Et ce qui est important pour moi, c’est l’horizontalité des choix et de la programmation, pour que la Biennale soit vraiment partagée dans sa décision.

Vous maintenez le Défilé ?

Tiago Guedes : Oui, c’est un grand sujet, c’est un événement historique, rassembleur, mais aussi, très important pour tout ce qui se passe pendant deux ans en amont. Le prochain est, bien sûr, déjà organisé.

Je souhaiterais donner plus visibilité au travail préparatoire avec les amateurs. Mais, je n’ai jamais vu de Défilé. Il faut que j’en vive un de l’intérieur avant de changer quoi que ce soit. Je commence à avoir nombre de discussions avec des sociologues sur ce que veut dire un grand rassemblement populaire, réunir des milliers de gens pendant trois heures, écologiquement, après les attentats, le covid. Moi je pense que le monde a changé et que ces grands événements doivent changer aussi, être réfléchis, mais je me donne le temps de le vivre en 2023 pour le rêver autrement en 2025.

Propos recueillis par Agnès Izrine

 

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