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Christophe Garcia : L'Ambition d'être tendre

Dans le fil de l’intérêt de la danse d’aujourd’hui pour la transe, Christophe Garcia propose une œuvre très originale qui, non seulement n’élude pas la question de la tradition – voire du folklore – mais s’y confronte de plein fouet avec l’aide de deux musiciens adeptes d’une musique néo-folkorico-provencale. Un résultat plus qu’engagé.

L’Ambition d’être tendre marque non pas une inflexion – le chorégraphe a déjà proposé des pièces où la danse l’emporte sur le reste – mais une confirmation : ce trio dansé qu’animent deux musiciens a comme lavé Christophe Garcia de ce désir d’être entendu qui transparaissait de ses pièces plus théâtrales (Lettre à Helena 2015- ; Le Problème avec le rose 2018). Pas d’argumentaire ou de prétexte, de sujets extérieurs ou de relation au répertoire : le propos de L’Ambition d’être tendre est dans l’Ambition d’être tendre : la rencontre entre un projet musical originale et les danseurs et ce qui en advient, le tout construit parallèlement.

Donc d’une part Benjamin Mélia, musicien spécialiste du fifre et du galoubet qui, avec Guillaume Rigaud, va s’aventurer dans une manière de musique traditionnelle d’aujourd’hui. Cabrette et galoubet que l’électronique va modifier et amplifier encore… De l’autre les danseurs qui lentement se rencontrent, commencent à tourner ensemble, prennent un à un le solo, accélèrent, se saisissent. Le rythme force le pas, la danse le suit, l’excès s’instille. Les cheveux commencent à coller aux visages, les pas s’impriment dans la poussière d’ocre au sol et l’on y suit les traces des danseurs que les pas emportent. Les musiciens pressent l’allure pour suivre la transe qui monte jusqu’à une résolution dans une puissance enflammée. Les danseurs en sortent épuisés et le spectateur un peu groggy.

Le propos rejoint celui de Christian Rizzo et L’Ambition d’être tendre tend un miroir à D’après une histoire vraie (2013 – lire notre critique). Là où cette dernière redécouvre la transe à partir d’un appareil très « contemporain » (esthétique blanche, batterie double sur un podium, etc…), la première plonge, via les outils d’aujourd’hui, aux racines. L’esthétique soignée, avec ses couleurs ocres et une danse très travaillée ne sont que des étapes pour Christophe Garcia pour une immersion dans ce qui, ailleurs et autrement, peut produire l’argia ou la tarentelle. Mais ici, la transe est dépouillée de sa coloration folklorique, débarrassée de reconstitution, concentrée sur l’excès pour dire quelque chose d’ici et de maintenant. A la différence des recherches de David Wampach (le récent Berezina – lire ici, mais plus encore Veine, 2014 – lire ici), l’outrance et la démesure de la transe ne s’ancrent pas dans un primitivisme que révèle l’intime, mais dans un abandon au rythme et à sa puissance. L’Ambition d’être tendre tient de la mécanique chaleureuse, occupant une place juste entre le travail actuel de RIzzo et celui de Wampach… Jolie position !

Cette interrogation singulière trouverait sans doute une expression plus juste si l’œuvre pouvait être donné telle qu’elle est conçue, c’est-à-dire non pas en théâtre mais en extérieur, en quadrifrontal, avec le son volant libre dans l’espace. Ici, la puissance sonore (la cornemuse envoie du très gros son) tend, dans le confinement d’une salle, à écraser l’attention. Mais une telle proposition, en plein air, à Avignon, pendant le festival n’est pas de nature à pacifier les relations avec les voisins…

Philippe Verrièle

Le 23 juillet 2019 au Théâtre Golovine

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