Disparition de Jean-François Duroure
Le danseur et chorégraphe Jean-François Duroure est mort le 6 mars à l’hôpital Hautepierre de Strasbourg. Il enseignait la danse contemporaine depuis exactement vingt ans au Conservatoire de la capitale alsacienne. Il s’était lui-même formé auprès de Viola Farber au CNDC d’Angers, après avoir pratiqué plus tôt la gymnastique. Au CNDC, il dansait volontiers avec, pour partenaire, Mathilde Monnier, les deux élèves s’entendant parfaitement. Ils bénéficièrent d’une bourse qui leur permit d’approfondir à New York la technique Cunningham. Une partie de leur pécule fut consacrée à la location d’un studio où ils commencèrent à faire œuvre chorégraphique commune… Le pas de deux eut pour titre l’oxymore Pudique acide (1984) : « Pudique, c’est la relation avec Mathilde. Acide, connotation caustique [c’est] notre relation poussée dans toutes ses possibilités : de défi, de rivalité, de complicité, de tendresse. C’était la relation directe qui se vivait à travers la danse », déclarait Duroure dans un entretien accordé en 2011 à Numéridanse. Il proposa d’accompagner la chorégraphie d’une musique de Kurt Weill. « Chacun donnait ses idées et les choses se mettaient en place presque naturellement. »
Le danseur passa sans transition, une semaine après Pudique acide », de New York à Wuppertal, enchaînant ainsi deux périodes contrastées. En effet, Pina Bausch l’avait engagé dans sa compagnie. Le Tanztheater lui permit également d’alterner deux formes expression distinctes et complémentaires dans le cas du couple artistique : « l’abstraction cunninghamienne et la charge émotionnelle de Pina. » Il participa à la création d’Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört puis récupéra le rôle de Jacques Patarozzi dans la reprise de l’opérette Renate wandert aus. De ce moment « très intense pour l’interprète », il reste trace grâce à la captation qu’en fit Herbert Rach et que nous pûmes découvrir en 2016 à Vidéodanse, à l’occasion de la publication par L’Arche d’un livre-DVD. L’ancien gymnaste Jean-François Duroure, coiffé eighties, y joue le casse-cou et sort du lot de la distribution, effaçant toute concurrence, dans un style hypernerveux n’appartenant qu’à lui que les critiques de l’époque qualifièrent de « vif argent. »
Pudique acide, créée à New York, fut suivie d’Extasis (1985), sur une musique, cette fois, du compositeur d’Hitchcock, Bernard Herrmann et, deux ans plus tard, d’opus comme Mort de rire et Nuit de Chine. L’œuvre est « basée sur des peintures d’extase de saintes mystiques » et cherche une certaine spiritualité dans le mouvement en même temps que le mélange des genres féminin-masculin, le « renversement des rôles », l’exploration de l’androgynie. Duroure se remémore « l’époque où Gaultier sortait ses jupes-culottes pour les hommes. » Le danseur portait lui-même le kilt, à la ville comme à la scène. Après la séparation du duo, Duroure voyagea. Il donna l’impression de rester, sinon en marge, du moins, pour reprendre le qualificatif de Marie-Christine Vernay, « décentré ». Le décentrement n’ayant pas ici de lien avec le fameux concept de Nikolais, l’autre figure marquante du CNDC, mais un sens sociologique. Un peu comme s’il avait voulu demeurer en dehors du mundillo du contemporain français qui trouva refuge, confort et arrangement dans les institutions.
Il collabora à trois expériences théâtrales avec Georges Lavaudant (Terra incognita, Hamlet et Lumières) et explora le rapport entre le verbe et le geste, le corps et la voix, la présentation et la représentation. À la fin du siècle, on le retrouva ailleurs, au pays basque, au Ghana et en Afrique du sud. Sa pièce What are your doing here ? fut écrite avec des habitants et des artistes de Soweto. Avec des danseurs, des musiciens, des comédiens avant d’être créée en mai 1997 au manège de Reims. Depuis 2001, il s’était reconverti dans la pédagogie et transmettait son savoir aux élèves du Conservatoire de Strasbourg. Son spectre était large, pour reprendre l’expression de son collègue Arnaud Coste. Et son dernier projet était près d’aboutir qui consiste en un retour aux sources de la danse libre, sous la forme d’un spectacle en collaboration avec Élisabeth Schwartz, une suite de variations isadoriennes transmises à ses danseurs les plus confirmés.
Nicolas Villodre
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