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Les alliances basques du CCN Biarritz
A Biarritz, l’édition 20025 du Temps d’aimer la danse a accueilli huit compagnies du Pays basque, plus la mise en place d’une coopération entre le CCN Malandain Ballet Biarritz et l’Institut Basque Etxepare pour « renforcer la diffusion et le rayonnement de la culture basque dans l’espace francophone à travers la danse ». Et qui pense là en termes de folklore, devrait voir les spectacles de Mizel Théret, Kukai Dantza, Dantzaz et tant d’autres, où la tradition devient un organisme respirant l’air de son temps.
On est partis pour un tour dans les villages. Le Temps d’aimer essaime autour de Biarritz, assez loin parfois, dans la montagne, à une petite heure de voiture en partant de la Gare du Midi. On s’arrête à Itxassou et pour prendre place face au fronton pour voir le duo entre le danseur et chorégraphe Mizel Théret et le musicien, compositeur et chanteur Beñat Achiary, icône musicale de la modernité basque. Mais c’est un groupe en costumes plus ou moins traditionnels qui envahit le terrain de jeu !
Avec leurs farandoles, les hommes et femmes d’un certain âge enchantent un public de toutes les générations. Et les danseurs d’expliquer, à l’issue de ce programme partagé, que les jeunes, à savoir les enfants des uns et des autres, ont eux-mêmes dansé le mutxiko (bal basque) sur la place publique à Biarritz, avant de les rejoindre. La danse des racines réunit les générations : « Ici, nous n’avons pas peur des jeunes, car nous les connaissons tous ! »
Free jazz basque
Après eux, Beñat Achiary semble vouloir envoyer son chant à travers monts et vallées. Mais il pratique un art vocal du déchirement, des interstices et espaces sonores. Mizel Théret, danseur aérien s’il en est, lui répond par un gestus épuré, où la sève de la terre rencontre la légèreté autant que la puissance tellurique des sculpture géométriques de Jorge Oteiza. Par son free jazz basque vocal et gestuel, le duo abolit toute opposition entre l’ancien et le nouveau, entre racines et avant-garde. Face au fronton, Théret charge ses gestes d’éternité silencieuse et de bruissements émotionnels. Et parfois son corps semble se transformer en txalaparta, comme pour répondre à la présence des bâtons en bambou d’Achiary l’instrument basque qui rappelle le xylophone (mais tout autant le balafon).
Dans Ahaidetxea, la voix du chanteur escalade des cimes basques en relatant en euskara quelques couplets d’une épopée écrite par un poète du coin au XIXe siècle, le mythique et sulfureux Etxahun Bardoxe. Où l’obligation d’épouser une autre que celle qu’il aime – mais qui possède des terres – fait du héros un homme violent, divorcé, déshérité, tantôt emprisonné, tantôt errant, et surtout un expulsé à vie de la maison familiale. Bref, un poète maudit. « Dans la culture basque, rien n’est plus important que la maison familiale qui se transmet de génération en génération. C’est bien plus que juste un toit sur la tête », rappelle Théret dont la danse semble parfois inspirée par cette œuvre d’Oteiza qui, installée sur la place Bellevue de Biarritz, s’appelle La Maison basque, rappelant le lien entre les habitations et la terre. Et Achiary, qui dans une vie ultérieure avait travaillé comme maçon, dialogue en live avec une bande son (signée Pierre Vissler) faite des bruits qui se produisent dans une maison traversée par les forces de la nature : le plancher qui grince, le vent, les portes et fenêtres qui claquent…
Galerie photo © Charlotte Costa
Au village du poète
« C’est d’une force inouïe et peut devenir assez oppressant. Alors je me demandais comment j’allais pouvoir poser une danse là-dessus » dit le chorégraphe qui a débuté dans la danse traditionnelle à onze ans. Ensuite, à dix-huit ans, il se réinvente à Paris, en se formant aux techniques du ballet, de Cunningham, de Peter Goss… « Ensuite j’ai fondé ma compagnie et me suis inspiré de Bagouet. Mais mon deuxième coup de cœur, c’est Raimund Hoghe. » De ce dernier, on peut en effet retrouver chez Théret l’intensité, la profondeur et la gravité quand il fait résonner en son corps les états de l’errant déshérité.
Mais son style n’est pas au goût de tout le monde. La veille il avait présenté Hizketak à Barcus, le village dont Etxahun était originaire. Une partie du public n’adhérait pas au style des deux. « Il y avait 200 personnes dont certaines ne savaient pas ce qu'elles venaient voir. Certains partaient, mais ce n'est pas gênant. Ça m'inquiéterait s'il y avait une unanimité. D'autres sont venus nous voir, ils étaient rentrés dans la proposition alors qu'ils n'ont pas de connaissances en danse contemporaine. Mais surtout, au Pays basque, des spectateurs, même s’ils n’ont pas adhéré, vont ensuite ouvrir les portes de leurs maisons et inviter les artistes à dîner. »
Déconstruire la pelote
Est-ce pour cela que ce programme composé de deux pièces différentes s’appelle Conversations (hizketak) ? Dans le second volet, Frontoien bakardadean (Dans la solitude des frontons), Théret développe un langage corporel vif, rapide et aérien, en partant des gestes du joueur de pelote basque, toujours en dialogue de haute volée avec Achiary. Au sol, trois pelotes. Au fond, le fronton. Et partout, la voix d’Achiary étirant les racines basques jusqu’en direction du Gospel ou de l’Afrique du Sud, se fondant dans le tourbillon des bras de Théret, à la force presque centrifuge. Où tout part du geste de la frappe, le service appelé sakea. « Je travaille à déconstruire ce geste, je le reconstruis, je le ralentis, je l'accélère, je l'arrête. » Un peu comme le frapper / lancer / attraper / esquiver chez Noé Soulier, que Théret connaît et estime. Mais ses gestes s’y réfèrent de façon plus concrète et reconnaissable.
Il va de soi que Théret, s’il décortique aujourd’hui ce patrimoine sportif sous un éclairage chorégraphique, n’a pas seulement pratiqué la danse basque, mais également, à l’instar de son partenaire et alter ego musical, ce sport physiquement exigeant qu’est la pelote. Ce qui rappelle immédiatement la très belle exposition photographique de Polina Jourdain-Kobycheva, dévoilée au Temps d’Aimer en 2022, qui avait réuni, chaque fois sur un seul cliché, danseurs du Malandain Ballet Biarritz et pelotaris biarrots. Alors, fronton emprunté, fronton rendu : Dès que le duo Théret/Achiary a reçu les applaudissements du public, et à Itxassou ils furent unanimes, les joueurs ont été de retour sur le bitume avec leurs raquettes.
Galerie photo © Charlotte Costa
Alliances internationales
Si Le Temps d’aimer peut s’installer dans les villages, le territoire peut à son tour occuper le Casino de Biarritz. Un soir de festival, le grand plateau a accueilli Kukai Dantza, la compagnie fondée à Errenteria par Jon Maya, avec une sorte de gala, un best of de leur répertoire. Ils étaient annoncés au Temps d’aimer avec leur nouvelle création Txalaparta, nommé d’après l’instrument de percussion mentionné plus haut, mais ont dû changer de programme en raison d’une blessure. Leur mission reste la même : Faire briller les racines des musiques et danses basques sous un jour contemporain, sans jamais quitter une ambiance authentique, quelle qu’en soit l’époque.
Galerie photo © Charlotte Costa
Dans les mêmes lieux, avec vue sur l’océan, les acteurs culturels de la région avaient, la veille, scellé un pacte. Stratégique, comme ils disent. Car il s’agit de diffuser la culture basque dans tout l’espace francophone, du Québec jusqu’aux Antilles en passant par l’Europe. Ces ambitions concernent autant la traduction de romans écrits en euskara que le cinéma. Mais tout commence par la danse, et le CCN Malandain Ballet Biarritz est la tête de pont stratégique de cette dynamique espérée. La maire de Biarritz, Maider Arosteguy a fait honneur à son patronyme en accueillant la présidente de l’Institut Basque Etxepare installé de l’autre côté de la frontière, à Donostia (San Sebastián).
Thierry Malandain expliqua les interconnexions historiques entre la danse classique et les sauts des Basques. Martin Harriague, son successeur désigné, souligna son amitié avec les compagnies basques, et surtout avec le collectif Bilaka qu’il avait mis en scène dans Gernika [notre critique] et la compagnie était cette fois présente avec sa dernière création, Bezperan [notre critique]. Non sans montrer son alliance entre tradition, sobriété, danse et musique dans la salle même où l’on fêta les nouveaux espoirs de la culture basque. Le CCN joua aussi un rôle clé dans la mise en relation des artistes basques avec leurs pairs antillais. Nous avons déjà évoqué le collectif HEDO avec sa création de Douslèt à Louhossoa [notre article], et on se réjouit de savoir que Mizel Théret travaille actuellement entre la Guadeloupe et la France, pour créer avec Hubert Petit-Phar Outre-Rage, qui sera présenté à partir de septembre 2026.
Thomas Hahn
Hizketak (Ahaidetxea & Frontoien bakardadean / Dans la solitude des frontons)
Chorégraphie, interprétation Mizel Theret
Création chant, interprétation Beñat Achiary
Création sonore Pierre Vissler
Regard extérieur Johanna Etcheverry
Le 7 septembre 2025, fronton d’Itxassou
Festival Le temps d’aimer la danse 2025























































