Le Junior Ballet de l’Opéra de Paris : Balanchine, Béjart, Ochoa, Martinez
Le Junior Ballet de l’Opéra national de Paris dirigé par José Martinez a fait sa première halte à l’Opéra Royal du château de Versailles, là-même où Louis XIV créait l’École de Danse de l’Académie Royale de musique en 1713. Un clin d’œil amusant avant une grande tournée en France et à l’International.
Pour cette soirée dans cet écrin magnifique qu’est l’Opéra Royal du château de Versailles où Louis XIV a sans doute dansé, avec le Junior Ballet, la barre était placée très haut. À commencer par Allegro Brillante de George Balanchine, et Cantate 51 de Maurice Béjart.
Le premier qui semble d’une simplicité absolue, avec ses longues robes de voile rose et ciel, et ses pourpoints idoines, est d’une folle complexité. Elle tient davantage à l’extrême vitesse d’exécution couplée à une interprétation très swing propre à la danse américaine qu’il faut arriver à conjuguersur le Concerto pour piano n° 3 de Tchaïkovski, qu’à de réelles difficultés techniques. Car au fond ce sont surtout des tours piqués, des tours en l’air, des sissones et des piqués arabesque -- mais qu'il faut exécuter très vite et impeccablement ! De plus, ce ballet composé en 1956 est un vrai traité d’Adage, soit cette partie du ballet où la danseuse et le danseur s’élancent ensemble dans des figures en couple, avec tours, portés, et sauts. Nous supposons d’ailleurs que cette dimension pédagogique, permettant à ces jeunes danseurs d’aborder l’un des aspects essentiels du ballet classique, est probablement la raison pour laquelle José Martinez a choisi cette pièce plutôt ardue (et hardie pour un Junior Ballet !).
Galerie photo Allegro Brillante © Julien Benhamou
Les solistes Yoon Seo Lee et Jackson Smith Leishman, bien qu’un peu fragiles, s’en tirent avec brio. Les ensembles ne sont pas en reste, interprétant "brillamment" toutes sortes d’enchevêtrements où les corps deviennent paysages mouvants ou immobiles, rappelant Les Sylphides (Michel Fokine, 1909). À tel point que Maria Tallchieff première interprète du rôle, avait qualifié Allegro Brillante de « romantisme russe expansif » !
On ne se souvenait pas – ou plutôt on avait oublié – que Maurice Béjart avait chorégraphié des ballets si retors, si traîtres techniquement, avec, dans ce Cantate 51, un thème autour de la seconde position redoutable : des petits retirés sautés finis seconde plié, des sauts de chats finis développé seconde, et même des grands jetés à la seconde !!!
Galerie photo Cantate 51 © Julien Benhamou
Le début où une figure féminine au sol se détache baignée de nuance « soleil couchant » sur un fond du plus beau violet est une scénographie en soi. Cantate 51, une cantate pour soprano brillante et joyeuse de Jean-Sébastien Bach, sur laquelle Béjart a créé une sorte d’Annonciation, est, bien sûr, du pur Béjart, avec pourtant un travail classique sans doute plus élaboré que dans d’autres de ses opus. Il faut dire qu’il avait été chorégraphié sur mesure pour Paolo Bortoluzzi*. Donc nous avons un Ange (ici interprété par Junsun Lee) et une jeune Vierge Marie (Typhaine Gervais) qui forment un duo très élégiaque tout en étirements et en éploiements, avec un très bel équilibre des figures duelles et de leur inscription dans l’espace. Comme ce très joli posé de tête sur la poitrine de l’Ange, ces pliés de profil et cette façon de croiser les bras devant soi différemment pour lui et pour elle. Bien sûr, Béjart utilise aussi toute l’imagerie des différentes Annonciations picturales (et elles sont nombreuses). Deux autres femmes Laura Ravera et Eve Belguet, qui accompagnent le couple de solistes, débordent aussi le cadre Béjartien, même si on retrouve ça et là, les grands développés seconde bras en l’air, ou les poses yin et yang inspirées de déesses indiennes chères au créateur de Bhakti. En tout cas, on ne peut que féliciter les danseurs et danseuses de ce Junior Ballet d’avoir si bien réussi à faire ressortir l’originalité du style de ce ballet qui date de 1966.
Galerie photo Requiem for a Rose © Julien Benhamou
La deuxième partie beaucoup plus contemporaine faisait appel à deux œuvres qui semblaient aller comme un gant à ce Junior Ballet de l’Opéra de Paris. Dans son Requiem for a Rose de 18 minutes, Annabelle López Ochoa offrait un aperçu bref mais saisissant de sa signature chorégraphique. Créée en 2009, cette œuvre explore les méandres de l’amour avec une retenue abstraite, loin de tout excès sentimental. Pourtant, c’est à l’adagio du Quintette à cordes en do majeur de Schubert D. 956, une musique on ne peut plus romantique qu’elle confie cette recherche. Au centre du ballet, une figure, la Rose (Shani Obadia), vêtue d’un justaucorps chair, tout en tenant entre les dents une rose rouge, incarne l’amour à la fois fragile et incandescent. Autour d’elle, douze danseurs et danseuses en jupe rouge et justaucorps chair, gravitent — comme autant de pétales fugaces — dans une succession de duos et de formations collectives éphémères. Les jeunes interprètes sont très à l’aise, très virtuoses, dans cette chorégraphie qui conjugue le lyrisme du classicisme à la vitalité du contemporain. Mêlant ports de bras moelleux et lignes épurées, les envolées des danseuses sur pointes, les élans des danseurs et leurs entrelacements, soulignés par les tissus superposés des jupes qui accompagnent leurs mouvements s’imposent, glissant d’un tableau à l’autre avec une fluidité presque imperceptible, comme un souffle entre la beauté et l’abandon.
Galerie photo Mi Favorita © Julien Benhamou
Enfin Mi Favorita de José Martinez, directeur de la Danse à l’Opéra national de Paris et du Junior Ballet de l’Opéra de Paris, mais aussi chorégraphe, clôt formidablement ce programme. Cette pièce, créée en 2002 pour un petit groupe de danseurs de l'Opéra pleine d’esprit et d’humour, sur La Favorite, un opéra de Donizetti, est parfait pour un finale en beauté ! Les variations baroques autour du tutu qu’a imaginées l’étoile Agnès Letestu, ici créatrice de costumes, ajoutent à ce ballet tout en finesse et fantaisie. Et dans ce théâtre de l’Opéra Royal du Château de Versailles, l’ouverture où seuls apparaissent des pieds chaussés de souliers à talons ornés de rubans est une trouvaille… bientôt suivis par les pointes des danseuses. Alors le rideau se lève sur des entrées d’une célérité agile, où danseurs et danseuses se croisent, s’assemblent lors de solos, duos, quatuors comme pris à la volée ! À la fois pleins de clins d’œil au répertoire classique de l’Opéra de Paris (Giselle, la descente de La Bayadère, la diagonale de Paquita, une pincée d’In the Middle Somewhat Elevated de William Forsythe ou de Don Quichotte dans une version plus hispanisante et autres pastiches) et une subtile réflexion sur les coulisses de l’exploit d’un danseur sur scène, Mi Favorita est enlevé à souhait, plein d’énergie, et ces jeunes danseurs et danseuses y brillent particulièrement.
Agnès Izrine
Vu le 13 juin à l’Opéra Royal du château de Versailles.
*Le danseur italien Paolo Bortoluzzi (1938-1993)avait la faculté rare de pouvoir jouer sur “l'immense octave de la création”, pour rappeler la formule de Paul Claudel. L'un des plus brillants artistes-interprètes de sa génération, virtuose certes, mais pétri d'élégance naturelle, il partagea avec Jorge Donn, disparu le 30 novembre 1992, les triomphes du Ballet du xxe siècle de Maurice Béjart, tout en assurant une carrière d'artiste invité, notamment en Allemagne, en Italie et aux États-Unis. (J-C. Diénis, Enclyclopaedia Universalis)
Le Junior Ballet
Programme
Allegro brillante - Chorégraphie George Balanchine - Musique Piotr Ilyitch Tchaïkovski- Costumes Barbara Karinska (Durée 16 min- Pour 10 danseurs)
Cantate 51 - Chorégraphie Maurice Béjart - Musique Jean-Sébastian Bach - Costumes Joëlle Roustan, Roger Bernard - (Durée 21 min - Pour 8 danseurs)
Requiem for a rose - Chorégraphie Anabelle Lopez Ochoa - Musique Franz Schubert - Environnement sonore Almar Kok - Costumes Tatyana van Walsum - (Durée 20 min - Pour 13 danseurs)
Mi favorita Chorégraphie José Martinez - Musique Gaetano Donizetti - Costumes Agnès Letestu
(Durée 28 min - Pour 18 danseurs)
Interprètes : Baizan Almaraz, David Alphandery, Eve Belguet, Grace Boyd, Angélique Brosse, Typhaine Gervais, Junsu Lee, Yoon Seo Lee, Mei Matsunaga, Sergio Napodano, Shani Obadia, Isaac Petit, Laure Ravera, Santiago Sales Manzanera, Raffy Emryck Sanchez, India Shackel, Jackson Smith-Leishman, Nathalie Vikner.
Tournée en France de juin 2025 à avril 2026 :
2025 : 12, 13, 14 juin : Opéra Royal de Versailles -16 juillet : Festival Vaison Danses - Vaison-la-Romaine - 18 juillet : Festival des Nuits de la Citadelle - Sisteron - 25 juillet : Opéra de Vichy - Vichy - Du 25 au 27 novembre : Montpellier - 29 novembre : Cannes - Du 2 au 10 décembre : Lyon - 12, 13 décembre : Martigues - 16, 17 décembre : Suresnes - 19 décembre : Evreux
2026 : 21, 22 janvier : Echirolles - 7, 8 février : Massy - 10 février : Maubeuge - 12 février : Compiègne - 14, 15 février : Neuilly-sur-Seine - 8, 9 mars : Aix-en-Provence - 13, 14 mars : Mérignac - 17, 18 mars : La Roche-sur-Yon - 20, 21 mars : La Rochelle - 24 mars : Cholet - Du 26 au 28 mars : Vannes - 9 avril : Roubaix.
Tournée à l’étranger de juin 2025 à avril 2026 :
2025 : 19, 20 juin : Londres, Royaume-Uni (Linbury Theatre)
29, 30 juillet : Madrid, Espagne (Festival Veranos de la Villa) - 01 août : Santander, Espagne (Palacio de los Festivales) - 18, 19 novembre : Kuala Lumpur, Malaisie –
2026 : 24 janvier 2026 : Monthey, Suisse - 27 janvier 2026 : Fribourg, Suisse - 29, 30 janvier : Bonn, Allemagne - 5 mars : Andorre - 11, 12 avril : Ludwigshafen, Allemagne - 16, 17 mai : Séville, Espagne
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