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Marie Chouinard : « Le Jardin des Délices »

Le célèbrissime triptyque signé Hyeronimus Bosch souvre par la grâce de la vidéo en fond de scène et Marie Chouinard attaque avec son impertinence irrévérencieuse de toujours. Les danseurs mis en scène par la chorégraphe québecoise s’essaient aux poses de la toile, tandis que s’affichent, à cour et jardin, des détails pris au hasard de cette œuvre aussi étrange que mystérieuse. L’idée de cette pièce en trois parties pour respecter l’ordre établi par Bosch tient justement à ce souci du détail. Loin de mettre en mouvement le Jardin des Délices, Marie Chouinard imagine une suite logique à chacune des situations exposées.

Avec une telle richesse picturale, inutile de préciser que son champ d’action était suffisamment vaste pour déployer tout son talent. Et comme la chorégraphe n’aime rien tant que les bizarreries et les sens dessus dessous, elle a pu s’en donner à cœur joie.

Les corps s’entremêlent, se chevauchent, s’emboîtent ou s’égayent en files indiennes, en galops, révélant une part chimérique, invraisemblable mais profondément ancrée dans notre humanité. Blanchie, la nudité ressemble à celle de la toile, érotiquement innocente, aussi surprise que surprenante, genre « du temps où les bêtes parlaient ». La chorégraphie est d’une liberté totale, reprenant les poses pour mieux les dépasser dans une bonne humeur généralisée, sans la moindre censure ou retenue. Il y a même un côté un peu paillard dans ce Jardin, un genre d’humour que le médiéval n’aurait pas renié.

Tout change dans le deuxième tableau. Plus sombre, celui de Bosch évoque l’enfer. Pour Marie Chouinard, l’enfer, c’est clairement les bruits et la fureur de notre monde. Dans un chaos hurleur, ce petit groupe s’explose à un rythme proprement… infernal. On se bat, on se déchire, les gestes sont féroces, les objets aussi dévoyés que les sentiments ou les sensations. Envolée la retenue, ici, tout se vaut et se téléscope dans un grand tohu-bohu d’êtres et d’avoirs. Seaux, échelle, bottes en plastique jaune, squelette, perruques, instruments de musique-lunettes astronomiques, tabouret anatomique et bien des choses sans nom traversent le plateau à grande vitesse, ornant ces corps de prothèses dont Chouinard a le secret… On nage en plein délire imaginatif. Ce cataclysme vaguement organisé joue comme un déchaînement des passions les plus sombres : haine, pouvoir, envie…

Enfin, dans le troisième tableau, Dieu unit Eve à Adam… ou le contraire ? ou encore le contraire ? Pourquoi pas selon Marie Chouinard, qui, d’une ironie légère et dans un calme aussi serein que l’Enfer est désordonné, s’amuse de retournements de sens imprévus.

C’est une vraie réussite chorégraphique et, le moins qu’on puisse dire, c’est que Bosch et Chouinard font un mariage heureux. Fondation Jheronimus Bosch, a eu le nez creux en la choisissant pour créer cette œuvre unique pour fêter le 500e anniversaire du peintre. Et Daniel Favier, a eu une riche idée d’ouvrir la Biennale du Val-de-Marne avec elle.

Agnès Izrine

Le 1er mars 2017. Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine dans le cadre de la Biennale de Danse du Val-de-Marne

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