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« Deux mille vingt-trois » de Maguy Marin

Maguy Marin remet sur le métier une pièce qui dénonce le capitalisme financier et le pouvoir des médias dans une création percutante.

Deux mille vingt-trois comme Deux mille dix-sept il y a six ans est une sorte de découpe dans un instant de notre temps. Les deux pièces sont sœurs et témoignent d’un état du monde ici et maintenant. Là où Deux mille dix-sept rapportait la mort des idéologies et son corollaire une humanité en déshérence, entre déni et amnésie, victime du néo libéralisme et des multinationales, Deux mille vingt-trois va plus loin, pointant les manipulations volontaires de l’opinion pour soumettre les esprits.

Mis à part le « mur d’argent » qui s’écroule dès le début du spectacle (clin d’œil, sans doute, à Pina Bausch), les deux pièces commencent pareil : la farandole de BiT apparaît pour disparaître, engloutie dans les ténèbres : la fête est finie et les maigres loupiottes en fond de scène s’éteignent. S’ouvre alors un monde souterrain, digne de la caverne des Niebelungen, où cognent marteaux et enclumes, maniés par des travailleurs de l’ombre, ceux que l’on a nommés, il n’y a pas si longtemps « essentiels ». Ce bruit, c’est celui de la fabrique de billets de la Banque de France équivalent de l’Or mythique des esclaves d’outre-Rhin, qui occupe un écran dans l’angle à cour du plateau.

D’entrée de jeu, Maguy Marin, pointe le déluge d’information auxquels nous sommes soumis, gavés pourrait-on dire, et « les neuf milliardaires possédant la majorité des média privés : Bernard Arnault, Xavier Niel, Patrick Drahi, Vincent Bolloré… » nommément et par l’omniprésent écran interposé, s’affichent leurs portraits. Grâce à ce procédé, les textes écrits et dits par les danseurs, égrènent sans fin des bribes de sens aux éclats funèbres tandis que l’argent frappe et claque, que la main d’œuvre s’échine. Dans ce grand salmigondis se télescopent les époques, on y pointe d’un même mouvement la Guerre d’Algérie et le 17 octobre 1961 avec les visages de Léa Salamé ou Natacha Polony, Stéphane Bern et Gérald Darmanin avec la fusillade du 1mai 1891 à Fourmies, le commerce triangulaire et Frédéric Beigbeder, Edward Bernays neveu de Freud et Sarah El Hariri, dans des raccourcis saisissants.

Il n’y a pas de danse – en tout cas pas dans le sens où on l’entend, dans ce monde déboussolé, mais comme le dit Maguy Marin à l’issue du spectacle, « je ne pouvais pas faire autrement » et en effet, comment chorégraphier les « mass media » et ses effets massifs ou comment danser sur un volcan prêt à exploser ?

Régulièrement, intervient une figure de démon façon Nô japonais, accompagné de son waki qui le meut ou le manipule par derrière. Selon la décoration qu’il porte sur la tête nous savons à quel avatar du diable nous avons affaire : le sigle du nucléaire, les gafas, un char, un bateau, des banques, des billets et finalement des journaux. Ce personnage irréel et menaçant qui agite son éventail de billets raconte l’instrumentalisation des foules et la fascination pour l’argent.

La fin, une chanson mélancolique des Républicains espagnols reprise dans le monde entier, et un tapis de fleurs qui peut laisser croire que les choses vont s’arranger. En bien ou en mal, le spectacle ne le dit pas.

Agnès Izrine

Vu à la Maison de la Danse de Lyon, le 8 novembre 2023.

Distribution

Conception Maguy Marin
Pièce en étroite collaboration avec 7 interprètes, auteurs des textes : Kostia Chaix, Kaïs Chouibi, Chandra Grangean, Lisa Martinez, Alaïs Marzouvanlian, Lise Messina, Rolando Rocha
Lumières Alexandre Béneteaud
Régie plateau Albin Chavignon
Bande son / vidéo Victor Pontonnier
Recherche documentaire Paul Pedebidau
Costumes Pierre-Yves Loup-Forest

Tournée 2024 :  
Le 16 janvier au Quai, Angers
Le 18 jannvier à l’Onyx Saint-Herblain
Du 5 au 9 mars au Théâtre de la Ville – Les Abbesses ;
Les 13 et 14 mars à l’Olympia à Tours
Du 19 au 21 mars à la Comédie de Saint-Etienne,
Le 9 avril au Gymnase à Roubaix.
 

 

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