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« Ce qu’il reste à faire et là où nous en sommes » de Jeanne Brouaye

Elle s’active. On ne peut pas dire le contraire. Cinquante minutes durant, dans sa création au titre pour une fois en français, qui plus est, explicite, pour ne pas dire performatif – qui annonce et tient promesse –, présentée en première à Vanves devant un public trié sur le volet et distancé ce qu’il faut, Jeanne Brouaye ne s’économise pas. Épaulée par le personnel d’accueil vanvéen et les intermittents contrôlant la lumière et le son indispensables au fonctionnement de la Panopée, elle ne se borne pas à livrer en temps et en heure un one-woman-show mais nous gratifie d’un opus poly-expressif. 

D’une part, l’artiste joue les Simone Hérault (la voix de la SNCF), avec un texte enregistré énumérant de courtes phrases à base de verbes dynamiques à l’infinitif, dont le contenu indique une décision, un fait inaccompli, un projet envisagé, sur le mode d’une liste de courses. Chacune de ses tâches eût pu être, soit dit en passant, le thème d’une pièce en tant que telle. Ce qui est remarquable dans cette série de propositions, c’est l’impression de laconisme qui s’en dégage et, naturellement, l’humour qui pointe ça et là, en mettant sur un pied d’égalité le prosaïque et l’essentiel – le désir sexuel et le désir d’enfant relevant sans doute des deux.

De l’autre, elle agence sous nos yeux ébahis, au moyen de tasseaux en bois de diverses longueurs, des architectures élégantes et éphémères, constructivistes, si l’on peut dire, minimalistes, néo-primitivistes. Ces structures légères, relativement légères – encore faut-il les soulever, les déplacer, les faire et défaire inlassablement, minutieusement à la vitesse des tours de passe-passe – rappellent la fable des trois petits cochons et la construction d’un refuge entre paille et brique. Plus qu’un simple abri, l’ouvrage ou œuvre en progrès relève d’une entreprise paysagiste, d’une potentielle installation ou, plus simplement, d’une mise en évidence du processus créatif lui-même.

Galerie photo © Nicolas Villodre

Pendant trois quarts d’heure, l’autrice et interprète noue et dénoue les liens élastiques fixant les liteaux, poutrelles apparentes esquisses de huttes, tchoums ou tipis. À la voix off viennent se superposer deux boucles sonores enregistrées en direct par la jeune femme à ses moments perdus qui enrichissent la B.O. en même temps qu’elles la rythment. Les gestes sont nets et précis, le dessein est sûr et le terrain suffisamment balisé, du moins a-t-on la sensation. Les éléments du jeu de construction sont d’abord étalés au sol, côtés jardin et cour. Ils s’assemblent en deux structures qui ne cessent de se transformer. L’ouvrière arpente et charpente, prenant appui sur des cubes traînant là par hasard. Elle saute gracieusement de son échafaudage et retombe toujours sur ses pieds en douceur, amortie par ses Nike.

Le final est de toute beauté, la protagoniste se métamorphosant à son tour, revêtant une tunique amérindienne dessinée, il est des chances, par Marjorie Potiron. Pour ce coda, elle dissimule son visage derrière un masque sacré. La lumière se tamise. Elle chantonne en accélérant le tempo, jusqu’aux limites de la transe. On pense à des pièces récentes d’Olivia Grandville, de Daniel Linehan et, naturellement, aussi, de Benoît Lachambre. Le public est invité à prolonger la litanie des faits et gestes quotidiens en en notant de supplémentaires sur des feuilles de papier. Une forme de bonus au spectacle et à sa propre liste.

Nicolas Villodre

Vu le 17 mars 2021 au Panopée du théâtre de Vanves dans le cadre du festival Artdanthé.

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