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Tours d’Horizons « Mon âme pour un baiser », de Bernardo Montet

Une très grande pièce où trois histoires personnelles abordent les tourments de l’humanité dans une chorégraphie puissante et explosive.

Sur un tapis de sol blanc est installé en fond de plateau un portant avec de nombreux vêtements. Trois jeunes interprètes apparaissent micro à la main. « Il n’y aura pas de trêve, il n’y aura pas de soumission, pas d’acceptation, pas de silence, pas de oui mais, pas de clitoris coupé… il y aura la joie de la lutte, d’être là, d’être noire, de crier… » disent-elles chacune leur tour. C’est ainsi que débute Mon âme pour un baiser de Bernardo Montet. (lire notre entretien)

Cette émouvante et puissante litanie énumérée par des femmes si jeunes, si fraîches, et qui semblent si vulnérables situe le thème de l’ouvrage. Elles vont avoir des choses à revendiquer, des faits précis à dénoncer, des vœux de liberté, de reconnaissance de la situation féminine, de respect du corps, de l’intimité, des origines et du droit à la terre…

Sauf que toutes leurs revendications ne sont pas énoncées gratuitement, car chacune dévoile son thème de prédilection par le biais d’autoportrait sans jamais parler d’elle-même.

Sous la houlette de la dramaturge Patricia Allio, les trois danseuses ont fait plusieurs propositions qu’elle a sélectionnées avec leur accord pour finalement aboutir sur un sujet. Ainsi, l’ivoirienne, Nadia Beugré, dévoile un autoportrait à la vierge, la brésilienne, Isabela Fernandes de Santana, un autoportrait à Ailton Krenak et la française, Suzie Babin, un autoportrait à son frère.

Soit trois femmes d’origines différentes pour trois thèmes extrêmement puissants sur la problématique humaine à l’échelle individuelle dessinés dans une chorégraphie sensuelle, violente, dynamique, physique, intime et passionnée.

De phrases en phrases, on découvre leurs vérités. De mouvements en mouvements, on ressent à quel point leurs engagements s’unissent pour construire un monde meilleur.

Car elles sont bien loin d’être aussi frêles et ingénues que ça. Elles possèdent non seulement une incroyable personnalité et une présence indéniable, mais leurs corps entier parlent autant que leurs mots.

En s’interrogeant sur la religion, Nadia Beugré évoque avec des mots crus l’intolérance, la haine, l’amour, la guerre.

Sous des cris d’animaux, Isabela Fernandes de Santana, reprend le discours de l’activiste amérindien d’Ailton Krenak en septembre 1987, à l’assemblée nationale constituante à la fin de la dictature au Brésil. Jusqu’à aujourd’hui et d’autant plus depuis l’élection de Bolsonaro, il lutte pour la reconnaissance et le respect des peuples indigènes afin qu’ils conservent leurs territoires. Par le biais de ce texte, la danseuse pose la question : qu’est ce que c’est aujourd’hui d’être brésilien et sur le pouvoir de la majorité sur les minorités.

Galerie photo © Chill Okubo

Quant à Suzie Babin, il s’agit d’un autoportrait à son frère qui l’a violée. Et là, bien qu’elle lui prouve qu’elle l‘aime, se mettent en place les problèmes de l’abus sexuel, de l’autoritarisme, de l’innocence, de l’ignorance, de la blessure qui prendra tant de temps à guérir.

En abordant les abus de tout ordre, aussi bien sexuel, que sur le vol des territoires et du virus colonial, elles amplifient, transforment la rumeur et la fureur du monde qui les entourent, assument l’incertitude et l’inquiétude qui les habitent dans une danse pourvue d’infinis détails accompagnée par des musiques électro et des sons extérieurs amplifiés.

Les trois excellentes danseuses dessinent avec virtuosité l’humour et la provocation, la tendresse et la haine, mais surtout avec une réelle fraternité, l’antidote à l’angoisse et aux non réponses.

Alors que le sourire revient et que les jeunes femmes retrouvent leurs insouciances et leurs fraicheurs, un rituel clôt Mon âme pour un baiser lorsqu’elles empilent tous les vêtements du portant sur Suzie.

Bernardo Montet, qui travaille pour la première fois avec trois danseuses, signe une fascinante pièce engagée d’une incroyable puissance et d’une extrême intelligence où la vérité et la sensibilité transpirent par les corps et par les mots. Une œuvre qui interroge, qui est loin de laisser indifférent et qui prouve que, même très jeunes, les femmes sont prêtes à reconstruire le monde.

Mon âme pour un baiser adresse un message universel revendiqué par la danse.

Sophie Lesort

Pièce vue à Tours d’Horizons le 7 juin 2019

« Mon âme pour un baiser » chorégraphie de Bernardo Montet

Interprètes : Suzie Babin, Isabela Fernandes de Santana, Nadia Beugré
Collaboration dramaturgique : Patricia Allio
Conception sonore : Alain Mahé
Scénographie : Gilles Touyard
Lumières : Maude Raymond

En tournée : les 4 et 5 octobre au Quartz Brest ; 13 et 14 janvier, Faits d’Hiver (Micadanses)

Festival Tours d’Horizons jusqu’au 15 juin

 

 

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