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« Casse-Noisette » de Rubén Julliard au Ballet national du Rhin

Normal qu’à l’approche de Noël soit programmé par l’Opéra national du Rhin à Strasbourg, le ballet-féerie en deux actes Casse-Noisette, inspiré du conte d’E.T.A. Hoffmann, Nußknacker und Mausekönig / Casse-noix et le roi des souris (1816), porté à la scène en 1892 par Lev Ivanov, Marius Petipa et Piotr Ilitch Tchaïkovski. Le Ballet de l’OnR donnera la création du chorégraphe maison Rubén Julliard, avec 140 costumes et de très nombreux accessoires et la musique originale en « live » !

On ne compte plus les Casse-Noisette et autres Nutcracker représentés sur scène, agrandis ou raccourcis à l’écran, voire sur microsillon depuis plus d’un siècle. Citons quelques versions : celle de Ted Shawn et de son Ensemble of Men Dancers (1937) ; la réduction à un acte du ballet par Alexandra Fedorova pour le Ballet russe de Monte-Carlo, avec des décors d’Alexandre Benois et, dans les rôles principaux, Alicia Markova et André Eglevsky (1940) ; la séquence d’animation de Fantasia (1940) de Walt Disney ; la version de George Balanchine (1954) ; celle, swingante, de Duke Ellington dans son album The Nutcracker Suite (1960), sur laquelle broderont Andy Degroat (1995), Donald Byrd (1996) et David Bintley (1997) ; celles, successives, de Rudolf Noureev, à l’Opéra royal de Stockholm (1967), au Royal Ballet (1968), à l’Opéra de Berlin (1971) et au palais Garnier (1985); celle de Roland Petit (1976) ; le Hardnut de Mark Morris (1991); l’interprétation de John Neumeier (1971) ; de Maurice Béjart (1999) ; de Benjamin Millepied pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève (2005) ; de Bouba Landrille Tchouda (2012) ; de Jean-Christophe Maillot (2013) ; de Kader Belarbi (2017) ; de Feng Ying et du Ballet national de Chine (2018) ; et, plus récemment, de Blanca Li (2022).

Résumons l’argument du ballet : le soir de Noël, deux enfants, Clara (Marie dans le conte) et Fritz, attendent leurs cadeaux et la venue de leur parrain Drosselmeyer (Drosselmeier chez Hoffmann), inventeur génial qui leur a fabriqué des jouets, parmi lesquels un casse-noix (ou casse-noisette) en bois, créature à l’élégance surannée affublée d’un gros ventre, de petites jambes grêles et d’une tête bien trop grosse dotée de redoutables mâchoires… Lorsque minuit sonne, le salon est envahi par le roi des souris et son armée de rongeurs. Commence contre le casse-noisette une bataille à laquelle Clara met un terme en lançant sa pantoufle contre l’envahisseur.

Marius Petipa ne pratiquant sans doute pas l’allemand, s’est basé sur l’adaptation de 1844, par Alexandre Dumas, du conte écrit par Hoffmann en 1816, en plein romantisme allemand. Dumas père n’étant pas germanophone s’était appuyé sur la traduction d’Émile de La Bédollière qui date de 1838. Les changements de Dumas sont minimes : il situe l’action à Nuremberg, capitale du jouet, développe la partie sur Confiturembourg, vision enfantine du pays de Cocagne, supprime un des trois gosses, l’aînée Louise, qui n’est pas essentielle, selon lui, dans l’intrigue, intervertit l’âge des deux autres, leur ajoute une gouvernante et change la profession du père – le médecin, on ne sait trop pourquoi, devient juge.

Inutile de dire que chaque chorégraphe ou presque s’est également autorisé à détourner l’original pour les besoins du spectacle. Apparaissent par exemple, de l’imagination d’Ivanov et de Petipa, la fée Dragée et le prince Coqueluche. La mise en abyme propre au romantisme qu’est le conte dans le conte dans l’épisode de « la Noix dure narrant l’histoire de la princesse Pirlipat et l’origine du casse-noisette » est purement et simplement sucrée dans l’argument du ballet. Surtout, nous semble-t-il, tout ce qui est noir, ambigu et inquiétant dans le conte est, par la musique et la danse, estompé. En conséquence, ont été ajoutés des éléments ornementaux comme la valse des flocons et les variations permettant aux solistes de briller.

Galerie photo : Agathe Poupeney

Tantôt, on lissera le récit, tantôt on dramatisera plus que de besoin, tantôt on insistera sur tel ou tel personnage, on introduira la psychologie, voire la psychanalyse – le ballet coïncide avec la naissance de la théorie freudienne. On tentera de déchiffrer la métaphore du jouet qui prend vie, comme dans la ballade de Goethe, Hochzeitlied (1803), dans l’essai de Kleist, Über das Marionettentheater (1810) ou de l’automate qui devient humain dans Der Sandmann (1817) d’E.T.A. Hoffmann. Certains considéreront le Casse-noisette au sens figuré du terme, comme objet castrateur et sa destruction par le frère de l’héroïne comme la déviation d’une pulsion d’inceste.

Rubén Julliard, chorégraphe issu de la compagnie alsacienne ayant dansé aux Grands Ballets canadiens plus de 150 fois Casse-Noisette en y interprétant tous les rôles masculins, était particulièrement bien placé pour faire entrer la quatrième création de cette œuvre dans le répertoire du Ballet de l’OnR. Tout en luttant contre les stéréotypes des danses de caractère pour éviter l’appropriation culturelle des divertissements, le chorégraphe a conservé les thèmes musicaux emblématiques de Tchaïkovski : la Valse des flocons, la Danse espagnole, la Danse arabe, la Danse chinoise, la Danse russe, la Danse des mirlitons, la Valse des fleurs, la Danse de la fée Dragée et la valse finale, mais pour en faire tout à fait autre chose. Par contre, il a bien maintenu la scène de la Bataille, et celle des Flocons. Comme il est de coutume au Canada, pays où la neige a valeur sacrée, la musique du pas de deux de la neige sera même bissée. La partition sera jouée par l’Orchestre philharmonique, les Petits Chanteurs de Strasbourg, la Maîtrise de l’OnR, dirigés par la cheffe Sora Elisabeth. Comme il est d’usage au Canada.

Galerie photo : Agathe Poupeney

Pour ce qui est de la dramaturgie, Rubén Julliard a souhaité créer une continuité entre le premier et le deuxième acte, très contrastés dans les versions classiques.  Il a gardé les Drosselmeyer, qui, dans sa version, sont un couple qui invite chez eux plusieurs adultes. Leur maison est aussi un atelier de création de jouets (dont le casse-noisette qui reste ce qu’il est… et ne devient donc pas Prince !). C’est pourquoi on les retrouve au deuxième acte.  Et au premier acte apparaissent déjà sur l’établi des Drosselmeyer, les jouets qui feront l’essentiel du second, ainsi que les éléments « intemporels » du ballet, les moments chorégraphiques qui continuent à captiver petits et grands. Il a cherché un équilibre, délicat à réaliser, entre le langage académique et le contemporain, Casse-Noisette se prêtant selon lui à la fusion des styles. Ainsi, « les poupées seront sur pointes et les rats auront des mouvements plus terriens (…) Clara incarnera la danseuse pluridisciplinaire maîtrisant parfaitement les deux styles de danse ». L’accent sera mis sur les Drosselmeyer et l’action aura lieu dans leur maison-atelier. Sera dévoilé le personnage de la princesse Pirlipat et développé le rôle du Roi des rats.

Nicolas Villodre

Opéra de Strasbourg, du 6 au 13 décembre 2024 et à la Filature de Mulhouse, du 20 au 23 décembre 2024.

 

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