« Les cent mille derniers quarts d’heure » de Matthieu Barbin
Les cent mille derniers quarts d’heure ont créé la surprise à la dernière édition des Rencontres Chorégraphiques. Un solo à couper le souffle, à ne pas rater le 29 septembre au Manège de Reims !
Une perruque peroxyde aux boucles étincelants, un visage ressemblant à un masque vénitien, d’énormes talons et une robe noire pailletée de haut en bas : Pour la première fois, Matthieu Barbin invite sur scène son personnage de drag queen, une certaine Sara. En scène : non lui, mais elle, ou plutôt les deux ensemble, pour évoquer vies et désirs d’une multitude d’autres femmes, jusqu’à dessiner, en creux, les effets d’un système sur les êtres et leurs corps : « Elle a été laitière, a travaillé chez Nanette /… / elle a fait des ménages aussi / … / voulait de belles choses. »
Une revue plutôt qu’une tragédie, un hymne à l’excellence dans la culture populaire et au droit de rêver d’une vie, au-delà de l’obligation à fonctionner dans un système utilitariste, où le corps s’abime petit à petit au travail. « A working class hero is something to be », chantait Marianne Faithfull. Les ouvrières que Barbin convoque sur scène, suite à moult recherches et interviews, ont des visions plus simples, plus intimes. Elles racontent, via le personnage de Sara, ce qui les aident à tenir debout, repoussant cent mille fois le dernier quart d’heure de leurs vies de labeur.
Barbin-Sara ne revendique rien, si ce n’est le droit de chacun.e à vivre dans la poésie. Comme paroles du désir, il-elle a choisi la chanson R&B de Chaka Khan : I’m every woman. Car si l’on rêve de mener une révolte de classe ou juste d’un brin de glamour, il s’agit toujours d’échapper à sa condition. Ce dépassement n’est ici pas seulement le sujet, mais aussi le moyen de ce show stupéfiant. Barbin réalise un grand écart (au sens chorégraphique comme au sens figuré) reliant le masculin et le féminin, le réel et les rêves de réussite sociale. Dans son ultra-féminité, tout est faux car tout est fantasme, et donc vrai tant que Sara se raconte, chante et se joue de ses failles. Titube parfois, mais s’accroche, voit se pousser des ailes blanches et se transforme en oiseau : I’m every woman, it’s all in me.
Dans une démesure ciselée, Barbin pousse le kitsch jusqu’au sublime. Dans son ultra-féminité fantasmée, Sara saisit le moment de la vie où le rêve rencontre le réel, se brise et s’écroule. En beauté. Dans ses froufrous et sur ses talons toujours un brin trop hauts, elle persévère jusqu’à atteindre la noblesse des personnages transsexuels dans les pièces de Copi : un.e ange déchu.e en état de grâce, incarné.e par un performer hors pair.
Thomas Hahn
Vu le le 20 juin 2021 aux Rencontres chorégraphiques internationales, Nouveau Théâtre de Montreuil – CDN, Salle Maria Casarès
Au Manège de Reims mercredi 29 septembre à 21h
Chorégraphie, mise en scène, performance : Matthieu Barbin
Avec : Sara
Travail des voix, collaboratrice : Dalila Khatir
Travail des textes : Jonathan Drillet
Catégories:
Add new comment