« La Promesse (des nuits d'été) » de Christophe Garcia
Exactement le genre de surprise qu'offre la période présente : six danseurs, dans un lieu patrimonial mais pas fait pour la danse, qui revisitent le patrimoine chorégraphique avec un bonheur certain, mais éphémère… Donc voilà Les Nuits d'Eté de Christophe Garcia, mais pas tout à fait.
Dèjà, une certaine surprise de recevoir une proposition de la compagnie la Parenthèse de Christophe Garcia. L'été dernier, sortant de confinement, le chorégraphe, avec la même équipe, proposait une expérience particulièrement pertinente et singulière en donnant Niebo Hôtel dans un établissement hôtelier en fonctionnement. Une pièce dont la puissance poétique et la maîtrise technique (tout était parfaitement intégré sans le moindre fil inopportun) produisait un sentiment de trouble très réussi. Et voilà un nouveau projet avec la même équipe… Dans ces périodes étranges, le tour de force est appréciable !
Si l'on commence presque par le commencement – presque car le chorégraphe commence par parler en prologue et devrait s'en abstenir – il y a le lieu, somptueuse nef romane et cependant très claire, qui n'offre guère les conditions optimales d'un spectacle, mais dont la force poétique compense (du moins en partie) la rudesse du dallage. Trois danseurs s'y engagent comme portés par un feu intérieur tandis que monte la musique. Voilà ces Nuits d’été d’Hector Berlioz, un ensemble de six mélodies sur des poèmes de Théophile Gautier et dont l'une se nomme Le Spectre de la Rose ...
Et, partant, une plongée dans le continuum culturel de l'art chorégraphique…
Que l'on se souvienne : quand, après l'avoir fait pour La Mort du Cygne (Cygn etc..., 2000), Pedro Pauwels avait proposé à des chorégraphes de traiter du Spectrede la rose (Spectre(S), 2002), il pensait nécessairement au ballet de Michel Fokine (1911), et à la musique de Carl Maria von Weber (L’invitation à la valse). Or les chorégraphes répondirent Gautier et Berlioz (1841)… Comme si un lien aussi fautif qu'indéfectible rattachait toujours ce Spectre « berliozien » à la danse qui lui est pourtant étrangère.
Si certains chorégraphes (Thierry Malandain pour le Ballet National de Marseille en 2010) ont chorégraphié le cycle complet des Nuits d’été, le Spectre a souvent été la partie tenant pour le tout à cause même de son titre et donc d’une évocation pourtant erronée de Nijinski dans le ballet de Fokine. Christophe Garcia, pas plus que les autres, n'échappe à l'histoire de la danse : le voilà rattrapé par la patrouille des références et il ne faut pas s'étonner si soudain, au fond, le danseur tendu sur demi-pointe, entrainé vers l'ailleurs par la couronne décentrée de ses bras, cite Nijinski, mais, via le mouvement qui suit, dans la vision de Kiki la Rose (1998, lequel faisait référence au Faune Fomitchde 1988) de Michel Kelemenis, tandis qu'un jeté de pied claquant de la semelle, à plat, renvoie à Angelin Preljocaj qui adore ce « pattern » (cf La Stravaganzza-1997-)…
Festival de citations multiples, gigognes et subtiles, mais qui résonnent avec justesse. La proposition va se nourrir ainsi de ce contexte culturel, dans une logique de continuité, en jouant sur les différents niveaux de vision qu'offre la nef de la collégiale, en tissant le mouvement à partir de la figure du duo, deux autres des six mélodies de Berlioz. La pièce s'intensifie graduellement, marquant une montée de la tension physique, au point que le climat sensuel, délicat voire précieux, dérive, dans des trépignements très rythmés et ancrés au sol (ils m'ont évoqué les recherches du même Christophe Garcia sur les gestuelles de danses traditionnelles qu'il a travaillées pour L'Ambition d'être tendre-2018) vers une manière de sauvagerie rude et primitive. Le passage d'une certaine préciosité sentimentale à un besoin collectif d'exultation.
Il y a cependant une rupture quand arrive une dernière séquence composée toute spécialement par le compositeur Laurier Rajotte sur un poème, l'Adieu à la poésie, du même recueil de Gautier (La Comédie de la mort) que ceux retenus par Berlioz. La danse s'y engage par un duo féminin tandis que les quatre autres interprètes, à l'écart mais dans le champ de vision, assistent puis rejoignent progressivement le mouvement. Ils vont alors constituer un groupe qu'une danseuse, courant à les presque heurter, agite et qui se résout. Ne reste qu'un couple, gisant, elle sur lui, sans que l'on départisse de la mort ou de l'épuisement amoureux.
Propos cohérent, jouant de référence à la Carte du tendre et à une certaine « aventure amoureuse », mais qu'il convient de ne pas exagérer, car ces Nuits d'Eté, données ainsi comme « à l'arrache » dans cette nef romane de la Collégiale Saint-Martin, constituent surtout le prologue d'une proposition plus large.
La pièce devrait voir le jour sous une forme pour douze (avec six danseurs supplémentaires venus du Ballet de l'opéra d'Avignon, co-producteur du projet à venir) et un petit ensemble (une réorchestration est prévue et l'on souhaite bien du bonheur à celui qui va devoir se charger du travail tant Berlioz est, sur le terrain de l'orchestre, un maître !). L'absence de frontalité, prévue initialement pour permettre aux spectateurs de voir la pièce en circulant autour des interprètes, disparaitra nécessairement de la version plateau, mais une formule « in situ » devrait accompagner cet ambitieux projet dont la réalisation est programmée pour 2022…
Quand il s'agira d'une représentation de cette œuvre, il sera toujours temps d'en faire une critique, en attendant, ceci ne l'est pas puisque cela n'était pas un spectacle.
Philippe Verrièle
Vu le 26 mars 2021 dans la Collégiale Saint-Martin, à Angers.
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