Entretien avec Rachid Ouramdane
Rachid Ouramdane, chorégraphe vient d’être nommé à 50 ans, directeur de Chaillot Théâtre national de la Danse. Son projet d’en faire un théâtre « des diversités » et un lieu de partage a été choisi par le Président de la République. Il prendra ses fontions le 5 avril. Nous l’avons rencontré.
Danser Canal Historique : Comment appréhendez-vous vos nouvelles fonctions ?
Rachid Ouramdane : J’en suis très heureux. Mais avant tout je tiens à souligner combien l’héritage de Didier Deschamps est précieux. Il a convaincu les partenaires d’inscrire dans le marbre que Chaillot est définitivement le théâtre national de la Danse. Il a commencé avec les équipes à ouvrir la programmation à toutes sortes d’esthétiques, il a aussi commencé à proposer des manifestations qui débordent les cadres habituels, par exemple l’événement avec Philippe Decouflé dans tous les espaces du bâtiment, ou les Journées du patrimoine. Dans ce que j’ai compris et vu, dans les échanges que j’ai pu avoir avec lui, j’ai découvert une maison saine et ouverte aux changements. Je connais l’histoire de cette maison, Didier Deschamps a impulsé un état d’esprit que je perçois comme dynamique. J’ai même découvert des dimensions, par exemple pédagogique, tournées vers l’extérieur, moins médiatisées et qui étaient extrêmement vertueuses.
DCH : Comment s’est passée votre nomination ?
Rachid Ouramdane : Je milite depuis des années pour qu’existent des lieux importants pour l’art chorégraphique, des lieux qui peuvent apporter des réponses à grande échelle à des questions esthétiques, à des débats de société via la danse. Quand j’ai appris qu’il y avait une réflexion autour du départ de Didier Deschamps, j’ai voulu entendre, écouter, regarder avec encore plus de précision ce que Didier avait réalisé. Certaines personnes voyant ma curiosité affichée pour Chaillot, les différents partenaires de l’Etat m’ont rencontré, et m’ont demandé, ainsi qu’à d’autres, de proposer un projet. J’ai été ensuite reçu par Roselyne Bachelot, pour un entretien. Et si j’ai bien compris, elle a témoigné sa préférence auprès du Président Emmanuel Macron.
DCH : Avez-vous rencontré le Président de la République ?
Rachid Ouramdane : Non. Je ne l’ai pas rencontré.
DCH : Comment abordez-vous Chaillot Théâtre national de la Danse ?
Rachid Ouramdane : Je n’ai pas pensé ce lieu seulement à travers une ligne de programmation, mais à partir d’une structure permettant à des gens de se rencontrer. Pour moi, « faire œuvre », c’est tout autant inventer des pièces que créer un tissu de relations entre individus. Je l’expérimente parfois dans mes pièces, pour amener l’art sur des territoires où on ne l’attend pas, notamment in situ, ou vers des secteurs qui ne sont pas forcément en lien avec l’art. Ma dernière pièce étant Franchir la nuit, où l’on travaillait avec des migrants, notamment des enfants isolés. Cette attitude de terrain, permet de tisser des ponts entre les mondes, de créer des endroits de convergence, j’en ai fait mon laboratoire au Centre Chorégraphique National de Grenoble, en inventant aussi bien des spectacles que des manifestations ou des dispositifs qui tous ont en creux la question de l’hospitalité. Comment inviter, comment faire de la place à des artistes, ou à des gens qui n’ont aucun rapport avec l’art ? Une fois posée cette question de la convergence, de la diversité, et du fait que les missions de service public d’un tel établissement profitent à tous et pas seulement à des initiés, reste à savoir comment la mettre en œuvre.
DCH : Quel est votre projet ?
Rachid Ouramdane : Concernant Chaillot, j’ai souhaité faire en sorte, que cette hospitalité, cette ouverture, imprègne à la fois la ligne de programmation de ses salles identifiées, mais aussi considère l’ensemble du bâtiment et de son architecture. C’est d’ailleurs l’expérience que j’ai eue, lors de cette collaboration entre Chaillot Théâtre national de la Danse et le Théâtre de la Ville pour le spectacle Franchir la nuit, programmé pour la commémoration des 70 ans de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.
Je me souviens comment nous répétions, dans une salle, un couloir, pendant que d’autres occupaient le plateau, et cette façon d’embrasser un lieu dans sa totalité me semble nécessaire et précieux en réalité. C’est très flagrant par exemple avec le dispositif Monuments en mouvement, qui offre le patrimoine architectural à la création contemporaine pour favoriser un art vivant. Je fais volontiers un parallèle entre Chaillot et la Cour d’Honneur du Festival d’Avignon. Quand le public se rend à un spectacle, que ce soit de Roméo Castellucci, Krzysztof Warlikowski ou Anne Teresa De Keersmaeker, il vient voir ce qu’ils ont fait de la Cour, comment ils l’ont transformée, et non une énième pièce de ces artistes connus dans le monde entier. C’est un peu ce rapport que j’aimerais instaurer, en confiant le lieu à certains artistes, pour voir comment ils le réinventent, offrent des expériences différentes, pour à chaque fois redécouvrir un Chaillot différent à travers des propositions. J’ai bien conscience des difficultés liées à un tel patrimoine architectural, l’endroit où il s’inscrit, l’ensemble des contraintes sécuritaires qu’il faut respecter, que ce soit pour des raisons sanitaires ou liées au risque terroriste.
DCH : Comment allez-vous concrétiser ces idées ?
Rachid Ouramdane : Ces dernières années, j’ai beaucoup développé des mobilités artistiques que ce soit en investissant des sites, comme le festival Le Grand rassemblement, au CCN de Grenoble, ou en m’étant vu confier la programmation de manifestations de plein air à Bolzano Danza. Cette façon d’être dans l’espace public, hors les murs, est une expérience qui me sera précieuse pour les travaux qui vont arriver dans la grande salle. Mais aussi pour penser des événements qui débordent les salles de spectacle, bien sûr en intelligence avec la conservation du bâtiment, les équipes, les artistes. Mais ça fait partie de l’ambition du projet, que chacun puisse venir pour la journée, pour des usages différents de l’art chorégraphique, c’est-à-dire, pouvoir faire une promenade, assister à une projection d’une œuvre cinématographique en lien avec la danse, entrer dans une installation en réalité virtuelle, réaliser un atelier parents-enfants, une performance de foule, et finir par un spectacle. L’idée étant de proposer un lieu chorégraphique qui s’adresse au public au travers de multiples activités, de la pratique à la contemplation. C’est valable à l’échelle du bâtiment, comme à l’extérieur. On viendra sur la colline de Chaillot, le temps d’un week end, pour une journée, pour y passer d’une exposition à un spectacle après avoir fait un atelier sur le Parvis, surtout si le cadre du projet de rénovation écologique jusqu’à la tour Eiffel du Trocadéro se réalise. Nous investirons les espaces in situ, en plein air, pour des gestes chorégraphiques d’ampleur qui pourront s’y inscrire avec l’ensemble des partenaires : le Palais de Tokyo, le Musée Guimet, la Cité de l’Architecture… Quand je parle d’hospitalité c’est ça, c’est penser les protocoles.
Bien sûr, c’est un endroit extrêmement touristique, mais aussi, nous allons chercher des publics, dans une attitude très volontaire. Je crois l’avoir très souvent fait dans mon parcours, que ce soit dans mes lieux de résidence, ou comme artiste associé au Manège de Reims, auprès de Stéphanie Aubin, au théâtre de Gennevilliers auprès de Pascal Rambert, ou pendant toutes ces années de complicité avec la Scène nationale d’Annecy dirigée par Salvador Garcia qui m’a beaucoup appris. Nous allons être très actifs à cet endroit avec plusieurs dispositifs de jumelage de territoire, avec des départements, des structures décentralisées, et un travail main dans la main avec les réseaux des Scènes nationales, des CCN, des CDCN, pour irradier au niveau du territoire national, car comme son nom l’indique, Chaillot - théâtre national de la danse, a des responsabilités vis-à-vis de l’ensemble des territoires français et ça ira jusque à l’Outremer. C’est pourquoi je vais m’appuyer autour d’un groupe d’artistes, d’une constellation de personnalités que je crois assez engagées, autour de ces questions d’un combat égalitaire femmes/hommes, de reconnaissance de formes de diversités, esthétiques, culturelles.
DCH : Quelles sont ces personnalités ?
Rachid Ouramdane : Les chorégraphes Dorothée Munyaneza, Faustin Linyekula, Nacera Belaza, François Chaignaud, Fanny De Chaillé, Gisèle Vienne, dans son travail sur les rituels de rassemblement de la jeunesse qui me paraît très pertinent, mais aussi le chanteur de rap Kery James, parce que je vais faire place au champ de la musique et de la chanson. Je précise : en ce moment il y a cette appétence de curiosité entre des personnalités du monde chorégraphique et du monde de la musique, et là aussi, c’est une façon de diversifier des publics, d’atteindre des populations assez jeunes, qui pourraient venir découvrir du chorégraphique au sens large. Par exemple en assistant à un concert, découvrir comment cette personnalité du monde musical travaille avec la danse, en proposant des collaborations. Le collectif XY avec qui j’ai eu la chance de collaborer sera là pour développer cette réflexion autour des arts du geste. Je les sais très impliqués dans la recherche d’écritures aériennes et je souhaite continuer à élargir le chorégraphique aux arts du geste comme j’avais commencé à le faire au CCN de Grenoble. Sera aussi présente la journaliste et artiste Aurélie Charron qui a mené tout un travail autour de la jeunesse dans le monde et qui, dans sa production radiophonique a sa place à l’intérieur du Théâtre de Chaillot. Il s’agira d’imaginer d’autres façons d’exister sur d’autres supports, pour des gestes artistiques en prise avec ces questions de diversité, d’accessibilité.
DCH Chaillot Théâtre national de la Danse est aussi une sorte de paquebot de 26 000 mètres carrés qui n’est peut-être pas aisé à manœuvrer…
Rachid Ouramdane : Je mise aussi très fort sur cette présence artistique pour créer une complicité avec les équipes de Chaillot, avec les métiers de l’art qui sont présents. C’est souvent ce que j’ai vécu quand j’arrivais dans ces grandes maisons que sont les opéras, les très grandes scènes nationales, les théâtres nationaux en tant qu’artiste ou intervenant pédagogique. À Chaillot, il y a 123 permanents dont on imagine le nombre de compétences auxquels viennent s’agréger, les intermittents, la conservation… Notre but est de permettre à chacun de s’exprimer dans ce que nous allons proposer. C’est-à-dire, utiliser le savoir de chacun. Dans cette crise sanitaire, on parle beaucoup de ce danger de ne plus pouvoir maintenir le lien avec les publics, ce drame pour les artistes de ne pas pouvoir s’exprimer, mais ça va bien au-delà des artistes ! Dans les maisons comme les nôtres, tous les personnels sont dans cette souffrance, les relations publiques, les techniciens, le service communication et bien d’autres. Mon ambition est de créer une dynamique avec l’ensemble de ces personnes et c’est avec eux que l’on arrivera je l’espère à la construction d’autres rythmes horaires, d’autres formes d’approche des publics…
DCH : Quelle va être votre ligne de programmation ?
Rachid Ouramdane : La ligne de programmaiton va continuer à soutenir les grandes compagnies, les grands ballets, c’est important d’accompagner ces œuvres sans perdre de vue le souci de promouvoir la danse de demain, de la repérer. Il existera des grands, des petits, des hors formats, dans une perspective de rassembler les mondes avec des danses contemporaine, académique, urbaine, du monde. De vraies curiosités naissent aujourd’hui, pour les danses vernaculaires par exemple. Les réseaux numériques, nous obligent à être assez humbles car certaines pratiques se propagent comme une traînée de poudre, sans avoir le temps d’être identifiées dans les réseaux de production habituels. J’entendais que 70% du réseau tik tok propose des contenus de danse. Ce qui signale à quel point ce goût pour la danse, pour le mouvement est présent et échangé entre individus. Donc nous allons essayer d’être dans cette diversité là.
DCH : Vous vous dites également très impliqué dans le développement de l’image, notamment numérique…
Rachid Ouramdane : Nous avons été obligés ces derniers temps de beaucoup recourir au numérique, avec de grands débats sur sa pertinence. Mais l’art chorégraphique n’a pas attendu la crise sanitaire pour s’intéresser à la vidéo danse, aux arts numériques, au digital. Il existe des manifestations de vidéo ou ciné danse depuis des décennies, c’est pourquoi l’articulation s’est faite de façon assez organique dans sa capacité à apporter des réponses à la crise que nous traversons. Donc je pense que ce n’est pas qu’une réponse contextuelle, c’est une façon de se projeter, de démocratiser encore plus l’art chorégraphique, de toucher davantage de publics. Car, un des moyens de rencontrer des contenus artistiques et culturels aujourd’hui ce sont les tablettes, les smartphones... J’aimerais que Chaillot soit identifié comme un théâtre de pointe à cet endroit-là. J’espère convaincre le Conseil d’Administration, de prévoir, dans le projet de rénovation de la grande salle, un volet d’équipement digital. Au Japon dès les années 90, on me remettait le DVD de la pièce qui avait été captée et mixée en direct et en public à la sortie du spectacle. Nous devons investir cette culture de l’image, et avoir des outils à demeure, suffisamment dotés, pour développer des grammaires de tournage spécifiques à la danse. Et bien sûr, nous allons conforter les dynamiques contributives, participatives, plutôt sur les réseaux sociaux dans des formats qui permettent ces interactions et ces échanges. Didier Deschamps a déjà amorcé nombre d’expériences autour d’artistes entre numérique et chorégraphique. Ce développement du volet numérique contribuera, je l’espère, à la permanence de l’activité, sur d’autres rythmes en venant alimenter des pratiques hors temps et format spectaculaire au sens des salles. Ce sont les grands piliers du projet.
DCH : Vous parliez d’irradiation au plan national, pouvez-vous nous préciser comment vous le concevez ?
Rachid Ouramdane : Il existe déjà des missions à Chaillot, des responsabilités, comme par exemple, de travailler avec les CCN. Il est important pour moi d’accompagner les CCN, de montrer le travail qui est fait par leurs directrices.eurs., mais aussi de les épauler au niveau de la production. La danse est fragile à cet endroit, donc il faut s’atteler à une optimisation, une mutualisation, de ces infrastructures qui aident les artistes sur les territoires. Chaillot doit participer à cet accompagnement sur certains d’entre eux qui sont fragilisés, moins identifiés, et nécessitent un peu plus de soutien avec les Centre de Développent Chorégraphique National, les CCN.
Aujourd’hui nous connaissons les difficultés de la diffusion du secteur chorégraphique qui a mon avis sont livrés à eux-mêmes dans des stratégies trop fragmentées. Ou trop individuelles. Bien sûr, il existe déjà des initiatives de ce type, et il faut les saluer, comme « La Danse en grande forme » qui réunit, dans une mutualisation inédite, onze structures des deux labels chorégraphiques nationaux (CCN et CDCN). Je pense qu’il faut nous souder les uns les autres, en incluant les Scènes nationales, afin de s’engager dans des productions, tout en s’assurant qu’il y a déjà un réseau de diffusion solide derrière. Le maillage avec les grandes manifestations que sont la Biennale de la danse de Lyon, Montpellier Danse, les grands festivals qui vont mettre en lumière les sorties de création, et s’assurer de l’itinérance nationale mais aussi européenne me paraît essentiel. Les partenaires européens avec lesquels nous avons pu échanger, ont le désir d’inscrire la danse à cette échelle de mobilité. Cela répond en effet à plusieurs problématiques. D’abord s’assurer de la pertinence des œuvres consolidées et faire en sorte qu’elles soient partagées, ainsi que la question écologique derrière les processus d’optimisation des tournées. Que ce soit au niveau national ou international il y a toujours cette préoccupation en sous-texte.
DCH : Le CN D pourrait-il aussi être un de vos partenaires ?
Rachid Ouramdane : J’ai eu une longue histoire avec le CN D quand j’étais encore parisien et j’ai connu Catherine Tsekenis (alors Girard) lors de mes débuts dans la danse chez Hervé Robbe, en sortant du CNDC. Mais au délà de cette complicité, il faut être très volontaire aux endroits de l’accompagnement, de la formation, de la diversité des chances, et je crois que Catherine Tsekenis, directrice du CN D, souhaite l’être. Elle connaît également le travail que j’ai pu mener, comme « Premier Acte », un dispositif volontaire de formation d’acteurs destiné aux personnes issues de la diversité culturelle. Il me semble important de lancer des gestes en direction de la diversité, et nous y serons attentifs, dans l’accompagnement d’artistes, de formations qui pourraient passer par Chaillot. Je souhaite mettre à l’honneur les grands centres de formations français que sont les conservatoires, les grandes écoles, et j’ai pour idée, peut-être un forum dédié à la jeunesse créative, aux jeunes talents, qu’ils soient interprètes ou chorégraphes. Là aussi un partage est possible avec le CN D qui pilote la manifestation Camping. J’ai également échangé avec Cédric Andrieux, directeur du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, ainsi qu’avec le CNSMD de Lyon. Toutes ces écoles sont très partantes, notamment pour ces rassemblements européens. De plus, Gisèle Vienne par exemple, est artiste associée au CN D et à Chaillot, et c’est une opportunité pour construire des parcours de spectateurs, entre la ceinture parisienne et vice versa. Car nous connaissons nos bâtiments. Le CN D a de formidables outils de travail que sont les studios dont ne dispose pas Chaillot. Et à l’inverse, Chaillot dispose de scènes pour présenter des œuvres que le CN D ne possède pas. C’est vrai que la distance de ces deux établissements dans le bassin parisien pourrait être un handicap. Mais, une étude qui nous a été transmise, permet de voir les publics qui convergent vers Chaillot. Et le public de l’Est parisien, par exemple, est très conséquent. Donc ça ouvre des pistes. Si on veut de la diversité il faut de la mobilité de population, que des gens puissent se rencontrer au CN D ou chez nous, nous appuyer sur les équipes du CND comme la Cinémathèque de la danse, pour bâtir des événements en collaboration que ce soit au travers de l’image, de la jeunesse, de l’accompagnement des artistes, de la répétition à la monstration. Je crois que nous avons deux outils parfaitement complémentaires et donc deux directions qui ont envie de travailler ensemble.
DCH : Comment allez-vous répartir vos activités de directeur et de chorégraphe en activité ?
Rachid Ouramdane : C’est un geste fort symboliquement de confier des responsabilités à un artiste en activité, d’ailleurs d’autres ont été approchés comme Boris Charmatz. Je pense que cette confiance repose sur leur capacité d’être innovants au sein de dispositifs, dans des gestes de programmation. C’est étrange, mais la façon dont est structuré notre milieu, notamment l’absence de salles de spectacle dans les CCN, entraîne que les artistes ont peu de capacité à montrer les autres. Moi c’est une responsabilité que j’ai prise en arrivant à Grenoble en créant un festival sans attendre que l’on me donne un label « artiste associé ». Dès que je suis arrivé j’ai pris trois artistes associés, j’ai partagé l’outil, partagé la direction, nous nous sommes mis à programmer. C’était urgent de donner à voir ce que nous faisions. Or c’est une question qu’on ne pose jamais aux metteurs en scène parce que la plupart dirigent des lieux de diffusion. Donc je vais faire comme j’ai tout le temps fait, mon travail d’artiste et programmer les autres et penser des dispositifs en m’appuyant sur une équipe, car on ne fait rien tout seul. Bien sûr, il va falloir travailler autrement, il va falloir utiliser toutes les compétences. Nous allons faire un état des lieux pour mesurer ce qui est déjà en place pour l’accompagnement d’un artiste directeur, et non pas seulement des artistes en résidence. Mais voilà, je suis très serein, car j’ai eu la chance de voir beaucoup de grandes maisons dirigées par des artistes. Et je ne suis pas le premier artiste en activité à diriger Chaillot ! Dominique Hervieu et José Montalvo l’ont fait avant moi.
DCH : Oui mais à terme, Dominique Hervieu à Chaillot, puis à la tête de la Maison de la Danse, tout comme Stéphanie Aubin à la tête du Manège de Reims ont été amenées à renoncer à leur carrière artistique....
Rachid Ouramdane : Je ne crois pas qu’il y ait de fatalité. Oui clairement j’ai beaucoup d’envies, mais tous ces grands axes, je vais les embrasser. Et c’est un signe, pour Chaillot, que le directeur continue ces grandes collaborations internationales, avec des compagnies étrangères ou nationales, tout en allant dénicher un artiste auquel personne n’aurait pensé, sous d’autres formats, sous une autre forme à l’intérieur du théâtre national.
DCH : Quelle sera donc votre prochaine création ?
Rachid Ouramdane : Je vais continuer à travailler avec des personnalités du champ chorégraphique, mais pas seulement. Le hasard a voulu que la prochaine création, Les sportifs de l’extrême soit portée par le Théâtre de la ville et Chaillot. Quand la pièce sera diffusée, je serai à la tête de Chaillot puisque elle est prévue pour le printemps 2022. C’est une pièce qui réunit une tribu, des artistes, des acrobates, que j’ai eu la chance de rencontrer avec Moebius, les autres sont des personnalités de l’extrême, une championne d’escalade qui gravit, ouvre les voies, Nina Caprez, Nathan Paulin, cette personne assez connue qui pratique la high line, funambule qui s’est d’ailleurs rendu célèbre en reliant la tour Eiffel et le Palais de Chaillot, lors d’un téléthon, des gens avec qui on inventera des choses pour ce site. La pièce va être créée à Annecy au mois de mai et faire l’ouverture de Montpellier Danse en juin.
DCH : Comment va se passer la transition au CCN de Grenoble ?
Rachid Ouramdane : On n’abandonne pas une structure comme celle-là. Il était important pour moi de faire la démonstration que les CCN pouvaient se partager, et nous avons vraiment ouvert ce CCN, à l’endroit de sa direction, de la transversalité, de la diversité, de toutes les personnes que nous avons accompagné. Le CCN a vraiment été un laboratoire artistique et social pendant cinq ans, et certaines parties m’ont bien préparées pour arriver à Chaillot. J’espère que l’aventure va continuer ici, toujours dans cette perspective de partage de l’outil, et dans les semaines qui viennent, je vais travailler la transition et faire en sorte de quitter Grenoble en consolidant des axes, avec les partenaires, l’État, les collectivités territoriales, de manière à ce que les choses continuent de façon généreuse et ouverte pour les artistes et le public.
Propos recueillis par Agnès Izrine
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