Martin Harriague crée « Fossile » au Temps d’Aimer
Le chorégraphe biarrot adoucit son trait, dans un duo qui part de la pollution des océans et termine au jardin d’Eden.
Le plateau est couvert d’un film en plastique noir qui grince, qui monte et descend telles les vagues d’un océan souillé par le mazout, le polyéthylène et autres produits dérivés des énergies fossiles. Un homme s’extirpe des vagues et échoue sur une plage. Il traverse le brouillard et tente de se tenir debout. Mais il vacille, glisse, tremble, tout comme ce début de l’œuvre qu’il interprète. La naissance de Fossile est difficile, laborieuse, incertaine. Notre Neptune hébété a besoin d’une personne de bonne volonté pour lui remonter le moral. Et il la trouvera.
Volontarisme et retour aux sources
Martin Harriague est retourné vivre sur la côte basque, où la problématique de la pollution marine l’accompagne depuis sa jeunesse. Chorégraphe citoyen, il fait de ses créations l’expression d’une révolte et d’un appel à agir. Dans America, réalisé en avril dernier avec le Ballet de Leipzig, il attaqua de front la figure et la politique de Donald Trump. Et on le découvrit encore, dans la gazette du Temps d’Aimer, sur une photo prise à Biarritz, où il manipule une effigie de cet adorateur d’énergies fossiles. Fossile n’est pourtant pas une pièce moralisatrice ou militante. Disons qu’elle véhicule un message volontariste plus général. L’homme peut inverser le cours des choses comme Harriague se plaît ici à inverser les légendes.
Sortant des vagues tel un oiseau mazouté, le chorégraphe-interprète se fait absorber par un énorme écrin enveloppé du même film noir. Mais cette armoire s’agite et une pluie d’os blancs s’abat sur le sol. La fête des morts peut commencer. Os par os, du tibias jusqu’au crâne, naît un second personnage, la femme. Et Eve l’emporte sur Adam. Fossile prend vie par le corps de Frida Dam Seidel et devient une pièce de danse, laquelle s’envole grâce à un solo à tomber par terre, plein d’attirance et de trouble. Aplomb du geste, suspense, et sans doute un clin d’œil à La Mort du Cygne, sous forme d’un troll nordique et féminin. En vérité, il faudrait parler d’un duo, parce que dans la main de cette Eve, le crâne prend vie à l’instar d’un partenaire vivant.
Tragédie inversée
On songe donc à Hamlet. Et justement, la partenaire de Harriague est Danoise, comme le personnage de Shakespeare. On pense encore à Shakespeare quand le retour sur scène d’Adam crée un jeu de vases communicants entre la vie et la mort, et donc à Roméo et Juliette. Mais si les amants de Vérone s’enfoncent dans la tragédie, nos amants océaniques vont ici se pousser mutuellement vers un retour au bonheur. Face à sa partenaire danoise, Harriague se transforme même en une sorte de Viking pour redoubler de coups de tête guerriers, avant que la femme ne remette de la douceur dans leur relation.
A ce stade, Fossile atteint sa vitesse de croisière. L’esprit iconoclaste, farceur et burlesque de Harriague trouve en Dam Seidel - et dans les airs de Schubert - un contrepoint qui en adoucit les ardeurs et crée un équilibre subtil entre poésie et espièglerie. Mais Fossile est aussi changeant que la météo sur le littoral. Car peu après, on retrouve le Harriague burlesque et théâtral qu’on connaît de son Pitch, montré au Temps d’Aimer en 2017 [lire notre critique], quand le monolithe noir se désintègre, quand les dessous de la femme volent à travers le plateau, quand le couple entre au jardin d’Eden, sous une végétation luxuriante à fort accent dionysiaque.
Fossile est donc une injonction à imaginer, à questionner: Qu’est-ce qui empêche l’humanité de renaître depuis les océans, de leurs micro-plastiques et leurs marées noires, si ce n’est elle-même ? Qu’est-ce qui empêche Harriague d’établir un équilibre durable entre ses énergies iconoclastes, son ardeur citoyenne et son talent de chorégraphe ?
Une égérie venue du nord
Il a rencontré Dam Seidel quand tous les deux dansaient au sein de la Kibbutz Contemporary Dance Company, en Israël. La Danoise danse aujourd’hui au sein de la Göteborgsoperandanskompani qu’on a vu mainte fois à Paris, avec des créations de Cherkaoui, Bouizguen et tant d’autres. Venant de Copenhague, Dam Seidel en sait des choses, sur le pouvoir d’attraction de la Petite Sirène et de la force de la volonté face à des puissances supérieures. Le Danemark ne vient-il pas de rejeter la demande de Donald Trump de vendre le Groenland aux Etats-Unis ?
Après avoir dansé dans plusieurs créations de Harriague, la voici devenue son égérie officielle. Et il faut souhaiter que les deux continuent à naviguer ensemble dans les eaux chorégraphiques, de la mer Baltique à l’Océan Atlantique.
Thomas Hahn
Festival Le Temps d’Aimer, Biarritz, salle du Casino, le 9 septembre 2019 (première mondiale
Le Temps d’aimer la danse jusqu’au 15 septembre
Fossile de Martin Harriague
Danse: Martin Harriague, Frida Dam Seidel
Assistante chorégraphe: Françoise Dubuc
Costumes : Véronique Murat, Charlotte Margnoux
Décor : Loïc Durand, Frédéric Vadé
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