« America » : Martin Harriague et le Ballet de Leipzig
Avec la création d’America, précédée des entrées au répertoire de Prince et If you were God, le Ballet de Leipzig a mis à l’honneur Martin Harriague, chorégraphe associé au CCN Malandain Ballet Biarritz.
A trente-trois ans à peine, Martin Harriague est un artiste jeune. On sait depuis Corneille que la valeur ne se mesure point au nombre des années. Mais il est utile de souligner combien ce danseur sur le point de basculer dans une carrière de chorégraphe évite jusqu’ici la plupart des pièges tendus à sa génération.
A commencer par l’éternel débat entre classiques et contemporains, ou pire, entre néoclassiques et post-modernes, une querelle que ce Basque venu sur le tard à la danse n’a jamais fait sienne. En témoigne son parcours en zig-zag diront les uns, très ouvert penseront les autres, entre diverses chapelles du paysage chorégraphique : d’abord l’école de Jean-Marc et Michèle Marquerol à Bayonne, où il prend sa première barre et fait ses classes jusqu’en 2007, ensuite un contrat au Malandain Ballet Biarritz Junior de Thierry Malandain, une incursion au Ballet de Marseille alors placé sous l’autorité de Frédéric Flamand, puis trois années au sein de la Noord Nederlandse Dans (Pays-Bas), suivies d’un séjour prolongé en Israël, de 2013 à 2018 comme membre de la Kibbutz contemporary Dance Company dirigée par Rami Be’er. En parallèle, Martin Harriague s’exerce dès 2011 à la création pour les compagnies au sein desquelles il danse.
Galerie photo - Prince - Martin Harriague/Leipziger Ballett © Ida Zinna
Ses premières pièces sont régulièrement primées lors de concours internationaux, jusqu’à ce fameux Prince, extrait PITCH, qui lui vaudra en 2016 le triple prix du public, de la critique et du Malandain Ballet Biarritz (lire notre article) au premier concours international de jeunes chorégraphes classiques et néoclassiques. Riche de ces expériences multiples, il enchaîne désormais * les collaborations : avec le Project Sally en mars dernier à Maastricht, avec la Cie Dantzaz l’hiver prochain à San Sebastien, et ce printemps avec le Leipziger Ballett à la demande de son directeur Mario Schröder.
Après une première piste de travail sur un tout autre sujet, c’est finalement l’actuel POTUS (Président of the United State) qui a retenu l’inspiration du chorégraphe. Sujet à haut risque, encore jamais traité par la danse, dont Martin Harriague fait mieux que se tirer avec les honneurs. Il surprend et ravit avec une pièce conçue à partir de fragments sonores des discours présidentiels, bande-son proprement insane dont la danse souligne l’absurdité, la cruauté et le danger.
Aux obsessions de l’orateur sur la grandeur de l’Amérique répond ainsi, dans une première séquence, la gestuelle saccadée et répétitive de vingt-quatre danseurs tous de noir vêtus. Visage recouvert d’un masque de Trump et tête coiffée d’une perruque jaune serin, ils sont les pantins d’une parole aussi creuse que grandiloquente. La scène suivante semble relever du passage obligé : un couple vêtu de rouge, seule trace de vie dans le décor, se lance à l’assaut d’un mur sombre, bientôt suivi par une horde humaine.
Galerie photo - America - Martin Harriague / Ballet de Leipzig © Ida Zenna
Mais cette évocation facile est habilement contrebalancée par l’humour féroce et quasi expressionniste de la mise en scène, qui suspend en haut de la paroi, telle une marionnette, un Donald Trump masqué chargé de surveiller les clandestins. Jusqu’à la fin glaçante, qui révèle derrière l’american dream la réalité du discours, Martin Harriague tient le public en haleine et suscite des émotions contradictoires. Applaudissements enthousiastes, et mérités !
Isabelle Calabre
Vu le samedi 4 mai 2019 au Schauspiel de Leipzig.
* Il dansera toutefois lui-même dans sa prochaine création, Frida, le 8 septembre 2019 au théâtre du Casino de Biarritz programmée dans le cadre du Temps d’Aimer la danse
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