« Béjart, Le démiurge » par Ariane Dollfus
Sur la couverture, ses yeux - dont malgré le cliché en noir et blanc, on devine le bleu intense - fixent droit le lecteur. Sous-titré Le démiurge, le livre qu’Ariane Dollfus, qui fut notamment collaboratrice du magazine Danser, consacre à Maurice Béjart, invite à la rencontre avec un des chorégraphes les plus célèbres du XXe siècle.
Plutôt que d’écrire une biographie classique, de sa naissance à Marseille en 1927 à sa mort à Lausanne en 2007, la journaliste a préféré organiser son étude en plusieurs thèmes qui, mieux qu’un récit linéaire, font apparaître la grande richesse humaine et artistique du personnage. Il en résulte un récit nourri de multiples témoignages et quelque peu éclaté, moins romanesque sans doute, mais plus fouillé dans l’analyse des multiples facettes de Béjart : « l’Éternel voyageur », qu’il s’agisse de curiosité géographiques, des différentes villes où s’implanta son Ballet du XXe siècle ou de voyages intérieurs ; « les affinités électives », du Faust de Goethe à Barbara, en passant par Nietzche, Molière et Nijinski ; « les spiritualités », bouddhistes, hindouistes, islamiques, dont on sait combien elles nourrirent son œuvre et sa pensée ; ou encore la volonté de créer, pour parodier Pierre Henry, « une danse pour le temps présent » qui le pousse à révolutionner les codes et les lieux de la représentation et de sentir, mieux que quiconque, l’air du temps.
Pour autant, l’auteur n’exonère pas le personnage de ses parts d’ombre, dont on aurait aimé qu’elle les dévoile davantage encore. Le chapitre ‘Docteur Maurice et Mister Béjart’ évoque notamment les rapports passionnels que le démiurge entretenait avec ses danseurs, élus de son cœur comme Germinal Casado puis Jorge Donn, ou pas.
On entre chez Béjart comme en religion et on le quitte comme on se défroque, dans un arrachement douloureux qui signe pour plusieurs interprètes l’adieu à la danse tout court. Le chorégraphe, qui se comporte souvent vis-à-vis de ses danseurs comme un père, avec toute la complexité de rapports que cela suppose, se veut en même temps un professeur de désir. Son nouveau concept d’école et d’enseignement, Mudra, va contribuer quasiment autant à sa gloire que ses propres créations. Malheureusement, aucun des projets béjartiens ne prendra racine en France, non faute de propositions de la part de l’Etat mais en raison des refus répétés du chorégraphe, comme l’explique fort bien la dernière partie de l’ouvrage.
Galerie photo © Francette Levieux
Au final, reste de ce « touche à tout » omnivore le portrait d’un être aussi attachant que farouchement autocentré, et le mystère d’une œuvre incroyablement inégale, ponctuée de quelques réussites bouleversantes - dont bien sûr le Boléro, la Messe pour le temps présent ou Le Chant du compagnon errant - mais aussi d’une pléthore de ballets oubliables, et déjà oubliés, sur laquelle le jugement demeure plus incertain. Un livre qui soulève autant d’interrogations - notamment sur l’écriture chorégraphique de Béjart - qu’il offre d’informations, à emporter pour les séances de lectures estivales.
Isabelle Calabre
Éditions Arthaud, 21,50€.
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