« O’More » de Bernardo Montet
La reprise de O’More, cette pièce-culte de Bernardo Montet créée en 2002, très librement inspirée d’Othello de Shakespeare, nous plonge dans une aventure vibrante qui continue de laisser des traces parce qu’elle apparaît aujourd’hui terriblement proche de l’actualité.
Sur le plateau, dont la teinte fait songer au désert marocain, est posée une toile blanche cernée par les danseurs qui sont en position de recueillement. A droite les musiciens gnawas sont installés sur des tapis. Le tableau est posé. Nous allons voyager au pays des hommes nomades et de leurs rituels, au pays des songes et des folies.
Au rythme envoutant des chants et des percussions les uns et les autres se mettent en quête d’une transe qu’ils parviennent à atteindre avec des pulsions du corps qui semblent ne plus être gérables. Cette danse n’a pourtant rien de provocant ni de violent. Elle est liée, enroulée, sereine, puissante et hors nome. Ces déchainements du corps libèrent l’esprit afin de renouer avec la mémoire des ancêtres et d’accéder à la sagesse.
Mais cette plénitude n’est que de courte durée puisque l’on comprend par touches successives que le chorégraphe nourrit sa pièce avec la figure d’Othello. Cet homme exceptionnel paré de toutes les vertus et de tous les honneurs qui est pris au piège de la machination diabolique de Iago qui fait croire à Othello que Desdémone lui est infidèle. Il finira par se tuer sur le corps de sa bien aimée.
Ainsi, se déroulent des enchainements qui mettent en scène la jeune femme remarquablement bien interprétée par Marc Veh qui de l’homme musclé s’investit ensuite en une femme élégante revêtue d’une longue robe blanche et ce sans jamais jouer à la féminiser. Il est frappant de sincérité tant le danseur sait jouer l’intériorité de son personnage.
De fil en aiguille on comprend à quel point les hommes sont cruels, à quel point rien n’a changé surtout lorsqu’est prononcée Une Saison en Enfer de Rimbaud. « Le monde n’a pas d’âge. L’humanité se déplace, simplement. Vous êtes en occident, mais libre d’habiter dans votre Orient… Je n’avais pas en vue la sagesse bâtarde du Coran, - Mais n’y a-t-il pas un supplice réel en ce que, depuis cette déclaration de la science, le christianisme, l’homme se joue, se prouve les évidences, se gonfle du plaisir de répéter ces preuves, et ne vit que comme cela ! Torture subtile, niaise… » Comment ne pas faire de lien avec notre époque et l’actualité ?
Et puis, il y a la scène où les hommes doivent montrer leurs dentitions à celui qui leur hurle des mots en pleine face. Symbole de l’esclavage et de la quête d’identité qui sont la plupart du temps la trame des œuvres de Bernardo Montet. Il sait parfaitement bien mettre en scène ses danseurs, et son style ainsi que son écriture chorégraphique se rapprochent tant du théâtre que chaque scène est d’une foudroyante vérité.
Cette messe du temps présent, reprise avec les mêmes excellents interprètes qu’à la création, qui, alors inconnus, ont tous depuis 2002 créé leurs compagnies et réalisé des pièces qui tournent dans le monde entier, est un hymne à la liberté, à la vie, et prouve que l’art sert à dénoncer des vérités qui tuent tel que l’obscurantisme.
Sophie Lesort
Spectacle vu au théâtre Louis Aragon à Tremblay-en-France
0’More, en septembre à Morlaix
Chorégraphie : Bernardo Montet
Assistante à la chorégraphie : Tal Beit-Halachmi
Danseurs : Herwann Asseh / Marius Abdoulaye Konate, Mani Assumani, Taoufiq Izeddiou, Bernardo Montet, Dimitri Tsiapkinis, Marc Veh
Musiciens gnawas : Mohamed Akharraz, Maâlem Adil Amimi, Ramni Abdellatif
Sol : Gilles Touyard
Costumes : Rose-Marie Melka
Lumières : Laurent Matignon
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