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Vera Mantero et Clara Andermatt au festival New Age New Time

C’est à Viseu, au cœur du Portugal, que les deux chorégraphes phares du pays ont ouvert la 8eédition d’un projet artistique volontariste. Une offensive chorégraphique! 

Nous sommes au Portugal, à mi-chemin entre l’Atlantique et l’Espagne. Viseu, bourgade tranquille de 60.000 habitants, où la reprise économique n’a pas encore pris pied. Dans le centre-ville historique, les boutiques fonctionnent au ralenti et dans la pénombre, tentant de réduire leurs coûts de fonctionnement. Leur clientèle s’est tournée vers les grands centres commerciaux ouverts en périphérie. Paradoxalement, la vie artistique est plutôt sur une bonne voie, grâce au Teatro Viriato, ainsi nommé d’après le héros national portugais, meneur de la résistance contre l’occupation romaine. Il serait né dans la région. A Viseu, son mythe veille aujourd’hui sur les arts. Au théâtre, son portrait est accroché à un mur du foyer. 

Les vingt ans du Teatro Viriato

L’histoire du Teatro Viriato est riche en rebondissements. Cette salle de spectacles et de cinéma (on trouve les affiches de projections de films français avec Jeanne Boitel, espagnols avec Carlos Gardel) a été utilisée après la guerre comme hall de marché. Trente ans plus tard, en 1999, la municipalité décide d’y établir un nouveau lieu culturel d’envergure. Sa mission : Introduire les formes contemporaines, en théâtre, musique et aujourd’hui en danse. La saison 19/20 est donc celle du vingtième anniversaire du nouveau Teatro Viriato et de la huitième édition du festival New Age New Time, plateforme dédiée aux chorégraphes portugais, qu’ils vivent dans le pays ou qu’ils travaillent entre le Portugal et un pays étranger. 

« Teatro Viriato est aujourd’hui le seul théâtre du Portugal à être financé à parts égales par le ministère de la culture et la municipalité », dit sa directrice, Paula Garcia. Depuis vingt ans, elle conduit un projet artistique qui inclut la danse contemporaine, accueillant en résidence permanente la compagnie du chorégraphe Paulo Ribeiro (on l’a vu à plusieurs reprises à Chaillot - Théâtre National de la Danse) qui dirigeait en même temps la Companhia Nacional de Bailado de 2016 à 2018 [lire notre interview]. Avec Joao Fiadeiro et Henrique Amoedo, le fondateur de la compagnie inclusive Dançando com a Diferença [ lire notre critique], deux chorégraphes majeurs de la scène portugaise y sont actuellement en résidence. 

Un festival de formes chorégraphiques libres

Teatro Viriato a aussi coproduit des créations de Tania Carvalho et Clara Andermatt [lire notre critique]. Avec le temps, une communauté de spectateurs avides de nouveautés s’est ainsi formée localement, alors qu’on vient rarement de Porto ou de Lisbonne. Il faut dire que Viseu n’est pas même pas desservie par le réseau ferroviaire ! La danse et le théâtre sont d’autant plus le moyen de renforcer les liens entre une ville quelque part isolée et les métropoles du pays, mais aussi pour réduire l’isolement de populations locales marginalisées. Paula Garcia coopère donc avec de nombreuses structures portugaises et internationales et mène des actions en direction de populations invisibles comme l’importante communauté Rom locale, les handicapés et le milieu carcéral.

Le festival New  Age New Time - Mostra de dança est né grâce à Garcia et a connu sa huitième édition au mois de novembre, toujours dans l’idée de familiariser le public local avec des formes quittant les sentiers battus, relevant d’art performatif, transdisciplinaire, numérique ou autrement novateur par rapport au spectacle frontal et classique. Pas de hasard donc si New Age New Time 2019 s’est lancé avec deux propositions d’artistes phares du pays, mais dans des formes assez surprenantes.

Vera Mantero suspendue

Concernant Vera Mantero, ce n’est même pas une surprise. On connaît son goût de l’insolite. Mais ici, elle a mis la barre plus haute que jamais. A environ cinq mètres au-dessus du sol, pour essayer d’être précis. Au-dessus du plateau du théâtre, elle est entourée du public. Nue mais hors de portée, tel un fantasme descendant du ballet romantique, mais oh combien matérielle et finalement plutôt antithèse de la ballerine, plutôt prisonnière que déesse, et dans le même temps une de ces sorcières si prisées de la nouvelle vague éco-féministe actuelle. 

Forte d’un body-art  à la fois avantgardiste et primaire, faible de sa position objective de prisonnière, elle amorce un rituel immémoriel, pourrait se laisser aller à la transe et défie le public par d’improbables acrobaties vocales. Quand elle chante, éructe ou fait grincer les cordes sonorisées qui tiennent son siège, elle est ange, rebelle, rockeuse, sauvage ou mélancolique… Avec cette performance intitulée Comer o coraçao em cena, Mantero avait représenté le Portugal  à la 26e Biennale des Arts Visuels de São Paulo, en 2004. La version scénique entre aujourd’hui au répertorie de sa compagnie. 

Clara Andermatt et la différence

« Ce duo n’est pas pensé pour des salles de spectacles, mais pour des espaces différents comme des galeries », dit Clara Andermatt au sujet de sa création avec la danseuse Mickaella Dantas. Le titre met le cap sur une liberté qui brouille les pistes : Instalação da desordem - Projeto em mutação. L’idée est de faire évoluer cette forme interrogeant les relations art/corps/diversité au gré des retours du public lors des discussions qui suivent le spectacle comme une partie intégrante. Dantas se tient alors face au public, mais au lieu de saluer pour sortir de scène, elle lance le dialogue. Et il y a matière. Par sa présence, par son absence…

Cette matière, c’est une jambe, sa jambe droite, le point de pivot de cette Installation de désordre. Et pourtant, elle est absente de tous les documents concernant ce duo entre Andermatt et Dantas qui est présentée comme une danseuse tout court. Mais il est aussi question de « différence ». En somme, on a assez de temps, au début du spectacle, de considérer Dantas comme une interprète entre danse et cabaret, ou bien comme une créature merveilleuse. Pendant qu’Andermatt donne la conteuse, on se rend compte que l’un des pieds de Dantas se tient dans des positions paradoxales. Est-ce une illusion d’optique ?  Est-elle une contorsionniste capable de produire des effets spéciaux ? 

Le coming out s’amorce quand elle dévoile sa prothèse. A la fin, elle l’enlève et devient spectatrice, sur une jambe, alors qu’une série de photos est projetée sur le mur de fond, où la danseuse est présentée comme model. Ce projet évolutif est une belle réflexion sur la différence, et découle en partie des réflexions menées au sein de la troupe Dançando com a Diferença, où Andermatt l’a rencontrée. Car avec une seule jambe en état normal, on danse certes différemment, mais ce n’est pas moins intéressant. Bien au contraire, cela ouvre des possibilités autrement impossibles à imaginer. Et on songe à Hijikata qui disait qu’en danse un beau corps est un corps handicapé, puisqu’il n’a pas d’histoire à nous narrer. Dantas est aujourd’hui interprète pour la compagnie londonienne Candoco Dance. 

Clara Andermatt, figure centrale de l’éclosion de la danse contemporaine portugaise, est aujourd’hui invitée à diriger une nouvelle création de danse inclusive au Portugal et créera, en mai 2020, une nouvelle pièce, un Chant du Cygne, avec la Companhia Nacional de Bailado. Elle prépare aussi une nouvelle pièce sur le chanteur capverdien Orlando Pantera. Un tel projet croisera forcément les pas de Paula Garcia qui construit son réseau de coopération entre Viseu, Lisbonne, Sao Tomé, le Brésil et Le Cap-Vert. 

Thomas Hahn

Spectacles vus les 15 et 16 novembre 2019, Teatro Viriato, Viseu

www.teatroviriato.com

 

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