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« Two, seul » : L’Afrique en briques d’Annabelle Bonnéry

Entre Ouagadougou et Grenoble, la Cie Lanabel réussit un (mé)tissage artistique au-delà des cultures et des disciplines. La pièce sera programmée à Chaillot-Théâtre national de la Danse du 15 au 17 février. À ne pas rater !

Two, seul, créé à L’Hexagone de Meylan, n’est pas un truc de bric et de broc, c’est une histoire de briques et de baroque. Briques plates et cuites sur place, mais roses comme des flamands. L’Europe et l’Afrique se croisent sur ces pavés, dans une pièce où le chant, la musique, la danse, les arts plastiques et la recherche s’imbriquent en bonne intelligence.

Two, seul commence par un solo très tellurique, où Annabelle Bonnéry sacrifie sa peau blanche dans un bain d’argile. Pourtant, les rectangles mous et gris n’attendaient que leur passage au four. Pour cette fois, c’est cuit. Sous les pieds de Bonnéry, la trame si ordonnée des pavés se transforme en marécage. Les pieds tâtonnent, se posent avec difficulté. Pour préserver son équilibre, Bonnéry se transforme en grue, mais ne s’envole qu’en direction de l’outremonde, enroulée dans un linceul.

Terre imaginaire

Son effacement ouvre la voie au couple Nuria Navarra - Romual Kabore qui danse sur ce tapis de briques rouges, sol âpre et fragile aux contours évoquant le continent africain. Les deux danseurs, la violoncelliste, l’accordéoniste et le contre-ténor peuvent alors se réveiller et peupler cette terre d’Afrique imaginaire, en sautant toutes les frontières.

Two, seul est le fruit de multiples rencontres artistiques, culturelles et humaines, faites lors d’une résidence de création au CDC La Termitière, à Ouagadougou, en octobre 2016. La pièce est nourrie d’expériences  faites au Burkina, sous une chaleur étouffante, telles les impressions intenses d’un mode de vie en lien profond avec la terre. Terre-mère, terre-poussière…

Galerie photo © Christian Rausch

Cérémonie

L’inspiration de cette vingtième création de la Compagnie Lanabel vient de la cérémonie  « des grandes funérailles » qui rend hommage aux défunts, dans un rituel festif. Mais il s’agit d’un rituel élargi, universel, qui explore les relations entre la vie et la mort par toutes les facettes de l’amour.

Aussi, la musique n’est pas burkinabè, la partenaire chorégraphique de Romual Kabore est catalane et le protocole de cuisson des briques a été développé en France (par les Grands Ateliers de Villefontaine) avec le plasticien François Deneulin qui signe la scénographie. Le haute-contre congolais Serge Kaludji interprète sa propre adaptation du Stabat Mater de Vivaldi, accompagné par Marie Ythier au violoncelle et Fanny Vicens à l’accordéon.

De la terre crue à la terre cuite, les morts peuvent ici danser avec les vivants, jusqu’à fonder un ménage à trois. Quand le solo initial de Bonnéry se réincarne dans le corps de Navarra, également interprète de La Veronal et de Carte Blanche, nous sommes autant dans une cérémonie du Burkina que dans un requiem occidental.

Equilibres

Il fut un temps où les chorégraphes du continent africain étaient obligés de s’adapter aux attentes des programmateurs occidentaux. Désormais, ils s’expriment de manières plus authentiques. Si aujourd’hui une compagnie française crée une œuvre en naviguant entre Ouagadougou, la Savoie et l’Allemagne, cela ne signale pas une nouvelle mise à pas du potentiel créateur de l’Afrique, mais l’émergence d’un équilibre fait d’allers-retours libres ( à ce sujet, lire aussi l’article de Gérard Mayen ). Et cette manière de se croiser dans la complicité s’applique aussi aux disciplines artistiques.

Dans Two, seul, personne n’est seul. Tout se fait ensemble, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’une seule entité organique. Rien n’est nié, quant aux différences culturelles. Mais les frontières se déplacent et  deviennent transversales.  Tout le monde occupe le centre d’une aventure commune. Grâce à la mobilité des humains et des briques, tout se déplace, se construit ou se reconstruit à volonté. Par le tissage des allers-retours entre les arts et les continents, Two, seul ouvre de nouvelles perspectives de partage humain et artistique.

Thomas Hahn

Vu à la création à L’Hexagone, Meylan, le 11 avril 2017

Du 15 au 17 février 2018  à Chaillot-Théâtre national de la Danse

Chorégraphie : Annabelle Bonnéry

Interprètes : Nuria Navarra (Espagne) et Romual Kabore (Burkina Faso), Annabelle Bonnéry (France)

Costume : Kathy Brunner

Création musicale et direction musicale : Serge Kakudji d’après Stabat Mater de Vivaldi

Chanteur lyrique contre-ténor : Serge Kakudji

Musiciennes : Marie Ythier, violoncelle et Fanny Vicens, accordéon

Composition musicale et réalisation sonore : Thierry Ronget

Création lumière : François Deneulin et Claire Villard (France)

Création costumes : Kathy Brunner (Suisse)

Scénographie : François Deneulin

Regard complice : Delphine Savel

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