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L'Afrique "normale" a déferlé du Val-de-Marne à La Villette

Affranchie de l'académisme, la danse contemporaine s'affirme dans sa diversité avant toute chose. Les artistes venus d'Afrique viennent de le montrer à la Biennale du Val-de- Marne comme au festival Génération A.

A-t-on besoin de « focus » de programmation africaine ? Les prochaines éditions des Festivals d'Avignon et de Marseille connaîtront des focus africains. Jan Gossens, présentant celui de Marseille en conférence de presse, avouait se poser lui-même la question qu'on vient de formuler. Faire focus, n'est-ce pas prendre le risque d'induire une nouvelle stigmatisation, fût-elle nourrie des meilleures intentions ? Si les artistes africains ont quelque chose de fort à partager sur les scènes du monde entier, reste-t-il autre chose à faire que les insérer dans la simple normalité des programmations ? Sans besoin de focus.

L'Afrique fait donc focus. Serait-ce le signe en est qu'il doit bien se passer quelque chose ; d'éventuellement paradoxal ? Au terme de la Triennale de danses contemporaines d'Afrique à Ouagadougou fin novembre 2017, on avait cette sensation que les danseurs de ce continent seraient en train d'atteindre une situation "normalisée", si ce n'est l'extrême précarité de leurs moyens économiques – laquelle ne sévit pas qu'en Afrique –, allant de pair avec une difficulté persistante de reconnaissance dans leurs propres pays.

A part quoi, une nouvelle génération a grandi, a bénéficié de formations attentives de la part de la précédente, et prend conscience de son répertoire constitué. Elle ne voit plus la France comme interlocutrice unique et obligée – mais aujourd'hui désargentée, parcimonieuse en visas, et d'influence généralement déclinante. Elle manie Internet comme accès à un monde globalisé. Tout cela mixé, cette génération vit son temps, sans qu'il y ait lieu de s'extasier de sa nouveauté, ni de la couver d'un complexe paternaliste post-colonial, comme on le faisait voici quinze ans.

Précédant Marseille et Avignon, la Biennale du Val-de-Marne et le parc de La Villette viennent eux aussi de faire focus. Parmi d'autres pièces déjà répercutées ici, la Biennale aura fourni l'occasion de découvrir We Almost Forgot, de Qudus Onykeku. Ce chorégraphe de Lagos a toujours suscité la curiosité. Il navique entre la sphère anglophone et la sphère francophone du continent noir – deux contextes d'histoire culturelle très distincts – comme entre les arts du cirque et la danse.

Il navigue pareillement entre un fort tempérament de dénonciateur des politiques post-coloniales et un savoir-composer dans ce cadre. Ainsi en novembre à Ouagadougou, il nous expliquait sa détermination à créer à Lagos pour Lagos, en ignorant les paramètres internationaux de la production. C'était la clé, expliquait-il, pour réussir des pièces à l'esthétique affranchie des implicites post-coloniaux. Pour l'heure, We Almost Forgot continue  d'afficher le soutien d'un nombre impressionnant de partenaires français ou européens.

Mais intéressons-nous au plateau. We Almost Forgot est une forte pièce pour six interprètes, dont une chanteuse – plusieurs de premier plan. Sa concrétion de danses noueuses, ses tensions dans l'extension, sa menace éruptive à fleur de gestes, ses saccades, ses prises dans le poids, le contre-poids, ses respirations oppressées, creusent la morsure d'une hantise des violences, tracées dans les corps. Un travail chorégraphique considérable a été engagé dans cette pièce. Mais pourquoi la laisser gagner soudain par le discours littéral de la narration des massacres et génocides ?

Galerie photo © @ WAF Abuja Yunusa Abullahi                                            

Faut-il rappeler, encore et encore, que le récit bien intentionné de l'évidence de l'horreur du monde, restera toujours en-deça de la réalité des dites horreurs, au point d'émousser son impact, au lieu de le majorer ? L'Afrique en connaît un tel rayon sur ce terrain, qu'il serait temps de s'affranchir une fois pour toutes d'un tel théâtre des bonnes intentions. Au salut, les artistes reviennent afficher leurs mines ravies. On les comprend. Ils sont excellents. Mais dans cette bonne humeur, on décèle à quel point luer travail juste auparavant était celui du mime. Même d'excellent niveau, ce talent ne nous en laisse pas croire. On ne parle pas ici de morale, mais de théorie de l'interprétation.

Rattaché au 100 % Afrique du Parc de La Villette, le festival Génération A était l'invité du Théâtre Paris-Villette. Tout nouveau, cet événement présente l'originalité d'être porté par des artistes africains eux-mêmes : Fatima N'Dioye et Alioune Diagne. Ce dernier est par ailleurs l'initiateur d'un festival sur le terrain, à Saint-Louis du Sénégal. C'est peut-être pourquoi on y a ressenti une atmosphère très heureuse, africaine, notamment du fait de l'accueil, plusieurs jours durant, des équipes artistiques venues du continent, sans le contrôle d'une lourde institution française. Et on y a découvert quantité d'artistes qu'on ne connaissait pas. Globalement donc : une réussite, de surcroît plébisictée par un public très fourni.

On a pensé y vivre un événement historique discret, en découvrant Répétition à la maison, des Sénégalais.e.s Hardo Ka et Gnagna Gueye, accompagnés par l'incroyable musicien Adama Ka, mûré dans une obscure distance jouée. Quel événement historique ? Le fait que la paire des danseurs, déjà mûrs, lui en grand sec, elle en petite ronde, ose, trois quarts d'heure durant, manier la totale dérision sur la danse africaine contemporaine, son public de là-bas, sa réception ici, ses tics déjà, ses emprunts plus ou moins digérés, ses fulgurances, ses loupés. Hormis un rythme parfois empesé, ces interprètes sont justes et adroits. Ils signent un droit à la liberté de ton, qui tranche avec bonheur sur la grandiloquence pompeuse des appels à la conscience et autres expérimentations esthétiques volontaristes. Ils font beaucoup de bien.

De son côté, la Kenyane Wanjiru Kamuyu, déjà forgée dans une carrière très internationale, aux USA y compris, s'est attiré un petit triomphe public, dans un solo tout en Spirale, brassant un gigantesque tissu à la façon d'une prothèse mêlée à ses propres cheveux, aux lanières de sa robe, à sa nudité partielle, dans un grand parcours de la ténacité des métamorphoses, sacral et très assuré. Cette puissance de conviction soliste pouvait faire écho à l'ouverture du festival par Germaine Acogny, en Elue noire du chorégraphe Olivier Dubois.

Wanjiru Kamuyu © Quetem par l'Association Eilôdon

Sans doute affranchie du souci de faire elle-même chorégraphie, la grande dame tutoye des sommets d'affirmation d'une puissance physique que l'âge n'atteint pas. Elle traverse avec justesse les traits saillants de sa personnalité et de son parcours – pipe fétichisée, strate gymnique fondatrice, traits morphologiques discutés au bord d'une question de genre, engagement poing dressé, et caractère trempé jusque dans l'ironie – tout resserré autour de sa technique nouée en variations du tronc. Cela est si fort en soi, qu'on aurait pu se passer des rajouts du chorégraphe, entre pompe du Sacre du printemps, geyser de fumigènes menaçant de faire rire, sur un podium sur-monumentalisé.

Un accident sur scène aura frappé la malheureuse Marion Alzieu, partenaire du Burkinabé Adonis Niebe, qu'on se faisait une joie de découvrir dans Ballet démocratique. Compassion mise à part, il reste à cette interprète européenne à créer en elle le chemin qui épargne à son geste de terminer en image posée à côté de sa personne.

Gérard Mayen

 

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