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« Tristan et Isolde » : « Ce langage nous est devenu familier »

Créé en décembre 2014 à Florence en Italie, le duo conçu par Giorgio Mancini pour Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio, tous deux étoiles de l’Opéra de Paris, continue sa route. Programmé le 2 octobre à Esch-sur-Alzette, au Luxembourg, il s’envolera ensuite le 20 novembre pour l’Espagne au festival Madrid en Danza. A l’occasion d’une répétition à l’Opéra Garnier, avec la gracieuse autorisation de la directrice de la danse Aurélie Dupont, nous sommes revenus au cours d’un entretien à trois voix sur cette aventure artistique et humaine.

Danser Canal Historique : Depuis la première il y a bientôt deux ans, le ballet a-t-il changé ?
Dorothée Gilbert : Il y a eu quelques ajustements dans la chorégraphie. Pour que ça coule mieux, que ce soit encore plus naturel.
Mathieu Ganio : En fait, nous l’avons progressivement digéré.
Giorgio Mancini : Il faut dire que la création avait été particulièrement rapide. L’été précédent, j’avais fait une première esquisse, un pas de deux de sept minutes sur la Mort d’Isolde dans la transcription musicale de Liszt au Palais Strozzi à Florence, avec Tayma Ripoll Ortiz et Stefano Palmigiano, dans le cadre des créations chorégraphiques live organisées dans différentes capitales européennes. A partir de là, en cinq ou six jours à peine, nous avons abouti à un ballet d’une cinquantaine de minutes (rallongé aujourd’hui pour atteindre environ une heure). En le retravaillant à l’occasion des tournées, j’ai depuis repris certains passages d’enchaînement et de coulé, d’autant plus facilement que mon langage chorégraphique leur est désormais familier. 

DCH : Votre façon de le percevoir et de l’interpréter a-t-elle elle aussi évolué ?
Dorothée Gilbert : Au départ, c’était un peu étrange, la coordination des mouvements était différente de celle à laquelle nous étions habitués. C’est comme apprendre une nouvelle langue. Le haut du corps est très désolidarisé avec beaucoup de travail de tête, de cou et d’épaule. Les jambes restent classiques alors que le buste et la tête sont très contemporains. Mais au fur et à mesure, cela devient de plus en plus organique.
Giorgio Mancini : J’aime en effet que le bas du corps soit très propre, très classique. Mais le haut est marqué par mes expériences chez des chorégraphes tels que Kylian, Naharin ou bien sûr Béjart, grâce auxquelles j’ai développé mon propre langage, très spécifique.
Mathieu Ganio : Il ne faut pas avoir peur de faire parfois des mouvements un peu surprenants !

DCH : Dorothée et Mathieu, était-ce la première fois que l’on créait ainsi une pièce sur mesure pour vous ?
Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio :
Un spectacle d’une soirée entière, oui.
Giorgio Mancini : Pour moi aussi, c’était une première ! Je n’avais jamais conçu une soirée entière autour de deux danseurs. J’ai besoin d’être captivé par un interprète, par sa faculté à exprimer avec son corps ce qu’il a à l’intérieur de lui-même. J’avais repéré Dorothée et Mathieu il y a douze ans, lorsque j’étais juré du concours de promotion de l’Opéra, et j’avais été frappé par ce qu’ils dégageaient l’un et l’autre sur ce plan-là. Travailler avec eux a confirmé cette impression première et m’a même permis de découvrir des aspects plus inattendus de leurs personnalités. Ils ont ainsi très vite compris et intégré les mouvements les plus ‘étranges’ de la chorégraphie.

DCH : Y a-t-il eu, pour chacun, un avant et un après Tristan et Isolde ?
Mathieu Ganio :
Oui. Cette pièce est arrivée à un moment particulier de ma vie, je dirais qu’elle est bien tombée. Elle m’a permis de réaliser que, en dehors de l’Opéra, je pouvais être invité à des galas ou à des ballets, mais aussi m’investir dans des projets plus originaux et participer à une aventure commune. Ce qui est beau ici, c’est que nous sommes tous pleinement co-responsables de la réussite finale. J’ai été choisi non pour mon statut d’étoile, mais en tant qu’artiste et en tant que personne. Voir que le public a apprécié cette démarche est pour moi un véritable encouragement à aller encore plus loin n, à pousser d’autres portes.
Dorothée Gilbert : Je suis tout à fait d’accord avec les propos de Mathieu. Cette pièce nous a montré que nous pouvions faire quelque chose de totalement extérieur au cercle de l’Opéra et qui nous impliquait pour ce que nous sommes intrinsèquement. Si à quarante-deux ans et demi (âge de la retraite à l’Opéra de Paris), j’ai encore envie de danser, je sais maintenant que je peux le faire au travers de projets de ce genre. Ça m’a montré que c’était possible, en m’ouvrant une sorte de liberté intérieure.
Giorgio Mancini : Si l’on décide de créer une pièce pour deux danseurs seulement sur la musique de Wagner, leur qualité d’interprétation est primordiale. L’engagement extrême dont Dorothée et Mathieu ont fait preuve a permis à mon langage chorégraphique de gagner encore en exigence. C’est ce niveau-là, désormais, que je demande à d’autres danseurs ! Etre toujours, comme eux, ‘à fond’ dans la qualité d’âme, c’est ça l’art véritable. Plus concrètement, cette création me permet aussi de participer à des manifestations importantes, telles que le festival Madrid Danza.

Galerie photo © James Bort

DCH : Avant cette pièce, aviez-vous des relations particulières avec la musique de Wagner ?
Dorothée Gilbert :
Non, je dois dire que j’étais assez vierge à ce niveau-là. Cela a été justement un plaisir de découvrir cette musique, en même temps que la chorégraphie.
Mathieu Ganio : En tant que danseur, j’avais eu très peu d’occasions de côtoyer ce compositeur. Mais à titre personnel, je connaissais et j’aimais beaucoup la Mort d’Isolde. Et lorsque je suis touché par une musique, j’ai toujours envie de la mettre en mouvements.
Giorgio Mancini : Je peux dire que je suis presque né avec Wagner ! Mon père était un admirateur passionné de son œuvre et tous les dimanches matins, il nous faisait écouter ses opéras, en alternance avec Beethoven. Ensuite, chez Béjart, j’ai eu l’occasion de danser sur sa musique puisque Maurice l’a utilisée à plusieurs reprises pour ses ballets. J’ai même participé à la création du Ring Um den Ring de Béjart ici même, sur la scène du Palais Garnier. Et Tristan und Isolde est mon opéra préféré.

DCH : Quel a été jusqu’ici l’accueil de la pièce en tournée ?
Giorgio Mancini : Nous avons d'autres propositions en cours, notamment en Russie et au Japon.
Mathieu Ganio : C’est un peu compliqué parce que nous sommes d’abord liés à notre maison mère, donc l’agenda de l’Opéra est prioritaire. Paradoxalement, il nous est plus facile de nous libérer au dernier moment, lorsque nous avons une visibilité sur nos prochains engagements, que très longtemps à l’avance.
Dorothée Gilbert : En tout cas, nous sommes toujours très heureux de danser cette pièce et nous avons gardé un souvenir mémorable de la représentation donnée au festival de Ravello (Italie) en juin 2015.
Giorgio Mancini : C’était en outre la première fois que la danse ouvrait ce festival dédié à la musique classique. C’était particulièrement important parce que c’est un lieu où Wagner a vécu. J’espère d’ailleurs pouvoir aussi emmener ce « Tristano e Isotta » au Théâtre Malibran, à Venise, où Wagner a composé le deuxième acte de son « Tristan ».

Propos recueillis par Isabelle Calabre.

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