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« Parallèles » de Raphaël Cottin

Tout en impliquant l'ancien danseur étoile Jean Guizerix, le duo évite l'exposé de la confrontation des âges, pour mieux emprunter le chemin des transmissions jusqu'aux sources partagées : soit les barres flexibles qu'avait conçues Wilfride Piollet.

Grâcile, élancé, toujours frotté d'un zeste d'ironie, la personne dansante de Raphaël Cottin, bientôt quadragénaire, s'obstine à paraître un jeune homme visité par la grâce, toute en fluidité qu'une justesse vient faire vibrer. Bien entendu par la force des choses, c'est ce qu'on ne peut pas dire de Jean Guizerix, septuagénaire, ex danseur étoile du Ballet de l'Opéra de Paris.

Or on nous glisse à l'oreille qu'hormis les premiers grands rôles du répertoire, Guizerix resta toujours un danseur de la tentative et de l'essai, perceptibles. Un rien rugueux. Il y aurait en définitive une qualité, dans cet art erraflé du tâtonnement, de la reprise, du raté, puis du raté mieux encore, dont l'observation nous captivait, en inspirant une attention patiente du regard, dans le duo Parallèles récemment créé par Raphaël Cottin (évoqué ci-dessus), qui l'interprète au côté de Guizerix.

On se passionnait donc pour cette recherche vivante, animée dans un corps dont l'usure ne doit sans doute pas rien aux morsures de la danse. Un corps aujourd'hui en train d'adapter son geste, ses ressources, ses articulations, pour faire face à la difficulté. Il ne manque pas de difficultés dans Parallèles. Ce titre peut suggérer la mise en regard des deux hommes qui s'y présentent (leurs histoires et parcours respectifs). Subrepticement, il fleure aussi la référence à la danse classique et ses positions canoniques.

Mais il est surout un écho à un ouvrage, paru en 1986, Parallèle, alors signé par Jean Guizerix et Wilfride Piollet. Ce couple d'étoiles compta parmi les pionniers se consacrant à la danse contemporaine dans l'enceinte même de l'Opéra de Paris. Wilfride Piollet, particulièrement, se consacra, une vie durant, à son invetion des barres flexibles. Soit une révolution pour la danse classique.

La dite flexibilité touchait directement à l'imaginaire du mouvement. De fait, il n'y a plus du tout de recours aux barres (l'objet physique), ni aux miroirs, dans la méthode de Wilfride Piollet. La danseuse, le danseur, y intègrent les postures de base en les envisageant, dorénavant, depuis leur propre schéma anatomique. Cela en passe par l'exploration d'une représentation mentale renouvelée, empruntant des chemins d'intériorité. Reste que ces chemins ne sont pas bordés que de jolies fleurs et de petits oiseaux. Les exercices requis par la pratique des barres flexibles demeurent des exercices, avec leur lot d'astreinte et de difficulté.

C'est ce que les gestes de Jean Guizerix, certes avec l'accent des effets de l'âge, révèlent pertinemment. Cela  par exemple quand les jonglages avec balles, intégrés aux mouvements et déplacements, lui jouent des tours. Côté âge mental, en revanche, cela transpire fort jeune, étonamment entier, quant à la physionomie générale. Au bout du compte, le grand mérite de Parallèles, le duo, est d'éviter de s'enférer dans une thématique binaire de la jeunesse et de la prise d'âge. Notons incidemment que Raphaël Cottin n'est pas non plus, à l'heure qu'il est, un oiseau de la dernière pluie.

De sa perfection gestuelle, il émane, non un éclat de la virtuosité conquérante, mais une tranquillité d'intelligence de la présence. Une sorte de toile de fond. Cette qualité, la tranquillité, imprègne toute la relation mise en jeux entre les deux hommes dans Parallèles. Cela empreint leur rencontre scénique, tout autant que Raphaël Cottin a fréquenté, assidûment et de longue date, les principes et la pratique des barres flexibles, en même temps que les riches personnalités de Wilfride Piollet et Jean Guizerix qui les lui ont transmises.

Il y a plusieurs façon possibles d'apprécier Parallèles. Expert curieux des techniques de danse, ce duo peut se lire pour le sérieux avec lequel il met en œuvre les savoirs des barres flexibles. L'auteur de ces lignes n'est pas en mesure de procéder à une lecture intégrale sous cet angle. On peut encore ressentir ce duo comme un hommage, traversé par la mémoire encore proche de Wilfride Piollet, disparue en 2015, ici présente à travers son compagnon d'art et de vie, et un disciple inspiré. Toute la pièce est tissée de références étudiées, à leur univers musical et poétique (cf. René Char). Voilà qui est précieux, mais pourrait tenir sur le rayon modeste des usages endogamiques de la révérence au sein du monde de la danse. Juste émouvant.

Puis cette autre option : apprécier Parallèles comme un parcours sensible et savant, sur un chemin partagé entre les âges, soucieux de remonter jusqu'à une source, puis y capter l'amorce d'un flux conjugué de savoirs et de sensations. Cette forme d'intelligence, à travers la transmission vivante, et son pouvoir absolu d'actualisation, appartient singulièrement aux danseurs. Ce duo en prodigue l'appréciale saveur.

Gérard Mayen

Spectacle vu le 14 juin 2018 à l'Atelier de Paris Carolyn Carlson , dans le cadre du Festival June Events.

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