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« Oto no e » de Yasutake Shimaji

La Fabrique Chaillot nous a invité à découvrir l’étape préparatoire de la pièce du chorégraphe japonais Yasutake Shimaji, Oto no e.

Un duo puis un trio composé de Tomohiko Tsujimoto, Kenta Kojiri et, vers la fin, du chorégraphe lui-même s’active plus d’une demi-heure durant, dans un style singulier, donc pour nous intéressant. Par sa tonalité comme par sa forme, la pièce nous a paru déstructurée et cohérente, loufoque et mathématique, espiègle et grave. Le jeu sur les onomatopées, dont futuristes russes (Kroutchenykh-Khlebnikov-Iliazd) et poètes Dada (Huelsenbeck-Tzara-Hausmann) firent leur miel, fascinés, les uns, par le cri primal, le balbutiement, la glossolalie, les autres, par l’art « nègre », point de départ de la communication (selon Leibniz, origine du langage) est à la base du travail chorégraphique de Shimaji, du moins dans le cas qui nous occupe.

Tantôt les gestes équivalent aux sons purs, se combinent par consonance, tantôt ils illustrent des mots bien précis en japonais issus de rencontres fortuites (= surréalistes) entre onomatopées et syllabes. Ces mots pouvant être, comme certaines de nos lettres de l’alphabet latin ou comme les caractères kanji, mimétiques.

L’étrangeté quiète qui se dégage de l’opus pour l’instant inachevé résulte donc d’un parti pris qui nous change de la routine. La contrainte supplémentaire étant de se passer de la langue, au sens propre ou musculaire du terme (alors même, comme on sait, que « la pensée se fait dans la bouche » d’après Tzara) ainsi que des mains, la partie corporelle pourtant la plus parlante. Des chuchotis, des interjections, des phonèmes privés de sens, certains captés live et diffusés avec un décalage, d’autres enregistrés et traités électro-acoustiquement façon Groupe de musique concrète, composent la bande-son.

Galerie photo © Nicolas Villodre

Passé par Forsythe, le danseur Shimaji et ses doubles ou alter egos vont, corporellement parlant, jusqu’aux limites de la dislocation, de la désarticulation, de la contorsion. Les trois athlètes, avec des riens, font montre de virtuosité, de contrôle de soi, d’équilibre à toute épreuve. Ils ont en sus une force comique rare, un sens du gag froid, un flegme et un détachement qui prennent leur source, comme l’humour, chez les Anglo-saxons : chez les Trois Johns comme chez Foottit et Chocolat (ce duo clownesque esquissait déjà, autour de 1900, des pas de break-dance), chez Vladimir et Estragon, voire les Trois Stooges auxquels ils empruntent le côté… emprunté, hébété, débilos.

La pièce baisse un peu d’intensité au bout d’une vingtaine de minutes. A partir de ce moment, auteur et interprètes ne peuvent, semble-t-il, s’empêcher de vouloir signifier, pour ne pas dire singer. Au lieu de s’en tenir à la règle du jeu, les protagonistes, craignant sans doute la monotonie, cèdent à l’anecdote, à l’expression, à la velléité de danse-théâtre – sinon de butô. Au fond de l’entonnoir, se trouve le sens unique.

Nicolas Villodre

Vu le 25 octobre 2018 au Studio Béjart de Chaillot, dans le cadre de Japonismes 2018.

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