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A Mulhouse, les Vagamondes décloisonnent les identités

Cette année le « Festival sans frontières » abolit en particulier les normes de la pensée binaire.

Mulhouse, La Filature, 11e édition du festival Vagamondes. Une affiche pour incarner douceur et amour, pour une édition consacrée à la culture queer, trans etc., pour penser le plus ouvertement possible la relation au corps et à l’amour. A Mulhouse ce n’est pas enfoncer des portes ouvertes, selon Benoît André qui dirige La Filature, maison qu’il porte en son cœur. En janvier, à l’heure de présenter la programmation, il s’émeut de deux tragédies humaines survenues dans la région en début d’année, deux cas récents de suicide d’adolescents dus au harcèlement en raison de leur orientation sexuelle. Un festival-symbole y a donc toute sa place, pour ouvrir les esprits et les cœurs, pour décloisonner les identités.

Et Benoît André s’est trouvé un binôme d’artistes associés, au nom ironique de « Superpartners », à savoir Smith, jeune photographe célébrant son identité non-binaire et Nadège Piton, performeuse et commissaire d’exposition. Et exposition il y a, collective et photographique. Où l’on peut découvrir, entre autres, le travail de Smith qui se sert d’une approche de l’image et du corps très personnelle.

En prenant des photos avec une caméra thermique, il réussit à capter des corps qui ne sont déjà plus présents et rend visibles leurs traces invisibles (et l’affiche du festival  en est un exemple). De quoi ébranler toutes les certitudes et velléités de lectures binaires du monde. Si on ne sait plus trancher entre présence et absence, comment cloisonner entre le masculin et le féminin ?

Cette porosité des identités est naturellement au cœur des Vagamondes 2023, et surtout côté danse. Mais pas seulement. Le festival étant un événement transdisciplinaire, on y trouve aussi un marionnettiste de génie, à savoir Johanny Bert avec Hen, son cabaret queer déjanté, les marionnettes pouvant assumer des fantasmes dont le corps humain serait incapable.

C’est vrai même pour le corps de Sorour Darabi, l’Iranien.ne non classable, non binarisable qui vient avec son nouvel opus, Natural Drama. Cet.te iel de référence réunit ici deux figures historiques, la princesse iranienne Taj Saltaneh (1883-1996) laquelle serait, selon Darabi, aujourd’hui qualifiée de queer. Et la Duncan ? L’Américaine est ici vue comme une icône de la sexualité non normative en Occident. En provocant la rencontre des deux, Darabi arrive naturellement à l’actuelle pensée hydroféministe.

L’autre approche est celle de Phia Ménard, anciennement Philippe, mais ça, c’est presque oublié depuis que ses spectacles revendicatifs marquent le paysage de la danse.

Aux Vagamondes, Ménard – et ici ion peut dire « elle » puisque c’était son but affiché – vient avec deux classiques de son cycle des pièces du vent, Vortex  et L’Après-midi d’un Foehn : d’une part des machines à vent créant un ballet aérien de sacs en plastique transformés en figurines, d’autre part un monde fantasmagorique aux abords de l‘enfer ou de l’insondable et de l’inavouable, jamais définissable selon des grilles de lecture qui forcent la vérité intime de l’être dans une direction prédéfinie.

Les genres sont bien plus facile à définir, et pourtant tout aussi « queer », quand Benjamin Millepied débarque dans la grande salle de la Filature. En partenariat avec Chaillot Théâtre National de la Danse, le couple mythique de Roméo et Juliette fait escale à Mulhouse, mais comme nous le disions déjà [lire notre critique], chez Millepied la rencontre se fait aussi bien entre Roméo et Julien qu’entre Rosalie et Juliette. Sans pour autant changer les noms des protagonistes. On reste cependant, avec les interprètes de la compagnie de Millepied, le Los Angeles Dance Project, dans les canons corporels établis par des siècles de danse et qui séduisent l’œil et l’esprit du grand public.

C’est ailleurs que cette édition des Vagamondes remet en question l’image-type des corps, par exemple par un spectacle autour de Caster Semenya, championne olympique du 800m. La Sud-Africaine aux performances exceptionnelles a souvent dû se justifier d’être une « vraie » femme, ce qui pose la question des normes et limites de genre et de la définition de la féminité par les codes écrits ou implicites de la construction du genre.

Beaucoup de matière de réflexion donc aux Vagamondes et, on l’espère, d’inspiration permettant, pour le dire avec les « Superpartners », « d’explorer les identités mutantes, transitions célestes, voyages dans la jungle des métamorphoses humaines et non-humaines ».

Thomas Hahn

Du 17 au 31 mars : 11e édition des Vagamondes
Voir la programmation complète

Image de preview : Roméo et Juliette - Benjamin Millepied © Josh Rose

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