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Montpellier Danse : Les pièces « Américaines » d’Angelin Preljocaj

Créées pour le New York City Ballet, ces deux œuvres « américaines » d’Angelin Preljocaj ouvriront le festival Montpellier Danse 2017.

Spectral Evidence s’inspire du procès des sorcières de Salem en 1692, où la « preuve spectrale » condamna sans appel des femmes innocentes. La chorégraphie, loin de tomber dans une emphase narrative, est au contraire d’une limpidité presque glacée, comme pour mieux mettre en relief l’incompréhension et l’effroi que suscite en nous ce procès infamant.

Photos : J.C. Carbonne

Répartis en quatre couples qui associent à chaque « sorcière » un pasteur puritain, Preljocaj a traité avec finesse la différence gestuelle qui caractérise ces duos mal appariés, car, comme on le sait, le diable se loge dans les détails ! Au lieu de faire des femmes des suppôts de la luxure et des hommes, les garants d’un ordre injuste, la chorégraphie s’attache à faire apparaître la fragile inquiétude des unes et la certitude indifférente des autres – bien que pour ces derniers, la frustration affleure dans chaque geste. Pas de pathos, mais une tension croissante qui laisse sourdre une émotion comprimée.

La sobriété des décors, très minimalistes, et surtout la musique de John Cage, percussive et désarticulée, qui racle le son jusqu’au simple souffle, contribuent à faire de Spectral Evidence une sorte de huis-clos froid et effrayant.

Photos : J.C. Carbonne

Conçue pour les danseurs du New York City Ballet, le vocabulaire de Preljocaj trouve ici ses syntagmes les plus classiques et une vitesse tout américaine. Mais si on retrouve éppelés les pas académiques, on s’aperçoit à cette occasion à quel point la technique utilisée compte peu au regard de ce qu’on en fait. Certes, on distingue les figures brillantes qui ont fait la gloire du ballet, ses petites batteries virtuoses, ses dégagés impeccablement menés, ses sauts étourdissants, mais toujours est-il que le propos les domine, la chorégraphie reste résolument contemporaine.

Angelin Preljocaj s’est même si intimement faufilé dans cette histoire américaine, que l’on retrouve au détour de quelque expression, la veine d’une Agnes De Mille dans Fall River Legend qui s’ancre dans une même charge contre le puritanisme.

La Stavaganza, comme l’indique le titre, est plus « extravagante ». Créé en 1997, la pièce répond à une commande de Peter Martins pour le NYCB. « En tant que fils d’immigrant, raconte Angelin Preljocaj, cette ville avait toujours été un mythe pour moi. Symbole de l’immigration pour ceux qui partent et essayent de bâtir autre chose […] D’un côté il y avait quelqu’un qui venait de l’Est avec sa culture ancestrale, ses traditions, de l’autre il y avait l’Amérique, Broadway, Balanchine. »

Photos : J.C. Carbonne

La pièce mêle donc une histoire d’immigrant venus du passé, habillés en costumes vaguement XVIIe siècle et des danseurs d’un look plus récent et finalement assez balanchiniens. Commençant par la phrase « Je me souviens », la pièce s’amuse à téléscoper les époques et les styles, les danseurs d’aujourd’hui dansant principalement sur le Concerto N° 8 de Vivaldi, les baroques sur des musiques très contemporaines. Cet épanchement du passé dans le futur s’image aussi dans la chorégraphie. Si, au départ, on a bien deux groupes distincts, les « contemporains » avec une gestuelle qui hésite entre Cunningham et Balanchine, et les « baroques » qui synthétisent une forme de « Belle danse » revue et corrigée par Preljocaj, les vocabulaires se perfusent de l’un à l’autre groupe sur un principe assez proche de la danse postmoderne américaine qui consiste à modifier la chorégraphie imperceptiblement et progressivement, pour qu’au final, le tout soit changé.

Photos : J.C. Carbonne

Comme l’inconscient qui n’a pas d’histoire, le ballet de Preljocaj joue sur l’atemporalité pour mieux plonger dans les affects.

Du coup, le ballet devient presque emblématique de son histoire réelle : ce sont bien des danseurs du NYCB (donc éduqués dans la technique balanchinienne) qui dansent une création d’Angelin Preljocaj – dont on connaît les versants baroques et cunninghamiens. Autrement dit, une sorte de condensé de l’histoire de l’auteur apparaît en filigrane de cette pièce, aujourd’hui reprise par les danseurs du Ballet Preljocaj.

Mais on peut aussi y voir un résumé de l’histoire américaine et de sa culture issue du Vieux Continent modelée par les grands espaces du Nouveau Monde.

La reprise par les danseurs du ballet Preljocaj de ses deux pièces est brillante, et c’est un versant du chorégraphe à découvrir pour cet anniversaire qui célèbre les 30 ans de la compagnie.

Agnès Izrine

Vu le 10 septembre 2015 - Le Pavillon Noir – Aix-en-Povence

Les 23 et  24 juin 2017 à l'Opéra Berlioz/Le Corum - Festival Montpellier Danse 

 

 

 

 

               

 

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