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Mimos, une 36e édition, corps et âme liés

Deux premières mondiales, une création in situ et de belles découvertes ou retrouvailles ont mis le corps au centre de l‘invention contemporaine.   

A Périgueux, les arts du mime ne font plus de la marche sur place. Avec SO MIM, un centre de ressources verra le jour en 2019, référençant les compagnies, leurs créations et les ressources documentaires du secteur. Premier centre de documentation des arts du mime et du geste, SO MIM sera un outil pour les chercheurs, programmateurs, étudiants, professeurs et bien sûr les artistes du monde entier, un répondant côté « mime » à numeridanse.tv. Financé à 70% par le Ministère de la Culture, il ne cache pas sa vocation nationale et internationale, et sera consultable, dans sa forme ultime, en français, anglais et espagnol.

En attendant la mise en ligne de ce corpus important, le festival Mimos (organisé par L’Odyssée, Scène conventionnée d'intérêt national « Art et Création ») explore le corps dans ses luttes et ses envols, ses silences et ses musiques, ses gestes et postures, ses amitiés et ses tensions. Deux coproductions de L’Odyssée ont été créées dans le cadre de l’édition 2018, la 36e de Mimos: #Blanche-Neige 2048 par la compagnie Théâtre Diagonale et Initok & Esil de RaieManta Cie.

Une Blanche-Neige virtuelle

Ester Mollo, cofondatrice de Théâtre Diagonale, interprète ce solo de théâtre chorégraphique, entre arts du geste (elle est diplômée de l’école Marceau) et danse tribale inspirée des orixás (Mollo a aussi étudié le kyogen et le kathakali). Une seule interprète en scène, un seul personnage : la marâtre. Un seul lieu : un bunker, connecté à un flux d’informations contrôlées comme chez Orwell. Mais l’inspiration vient de la nouvelle Snow, Glass, Apples de Neil Gaiman, où la marâtre tente de sauver son royaume, menacé par la monstrueuse Blanche-Neige.

La rivalité reste la même. Et Blanche, comme elle s’appelle ici, revient dans le royaume - ou le « secteur » - alors que la marâtre lui a arraché le cœur et le conserve dans son bunker. #Blanche-Neige 2048 est une étude comportementale et chorégraphique, d’états de choc à états de fureur. Le manteau royal (et blanc!) revêt des ondoiements à la Loïe Fuller et des dispositifs interactifs prolongent l’espace scénique en 3D, pour lui faire changer de couleur et de dessin pendant qu’un drone surgit, en guise de prince pour féconder la marâtre.

Que devient le désir, si fondamental et ancestral, dans un monde où l’être humain devient une sorte d’interface de différentes technologies? A la croisée des arts du geste, électroniques et visuels, la création partagée de Mollo et Jean-Baptiste Droulers, scénographe virtuel et interactif, marie avec bonheur le geste chorégraphique au geste virtuel. L’apport du dispositif interactif est ici clairement identifiable et devient un élément-clé de la dramaturgie.

Lise et Kotini = Initok & Esil

On l’a découverte en poule, elle s’affiche désormais en chat. D’une forme brève dans le Off de Mimos à une première mondiale en duo, en passant par son remarquable solo Au fil des torsions [notre critique], Lise Pauton s’envole. La contorsionniste s’associe aujourd’hui à un impressionnant mime ukrainien qui s’est choisi un nom de scène ancré dans la tradition circassienne : Kotini Junior. Quant au senior, il en avoue la non-existence.

Les jambes en tire-bouchon, le tronc en quinconce, Kotini alias Initok fait de son corps une entrée dans le rêve, quelque part entre Magritte et Escher. Avec sa part de Buster Keaton, bien entendu. Et c’est vrai pour l’ensemble de ce couple, à la ville comme à la scène, qui n’est pas avare en pépites autobiographiques. Aussi, le landau secoué par Lise/Esil était bien destiné à leur bébé tout jeune et donc pas encore en mesure de  participer au spectacle. Cela viendra...

Quant à l’univers nocturne, hanté par un chat renversant les perspectives, il emporte le spectateur périgourdin jusqu’à cette question cruciale et truffée d’écailles (surtout quand c’est un chat qui s’y colle) : Comment manger son poisson sans le noyer ? Avec l‘assiette, le poisson et son prédateur nargués par une souris façon plumeau, ce n’est pas une Lise Pauton capable de faire disparaître sa tête comme dans un trou noir qui nous en livrera la recette. Initok & Esil vit de son mystère ludique, ce qui ne peut que plaire aux enfants de tous les continents. Quant aux adultes, ils auront la patience d’attendre le jour - ou la nuit - qui lèvera le brouillard surréel, pour voir plus clair dans ce chassé-croisé nocturne de corps et d’animaux. Et on se dit, sans trop le miauler sur les toits, que l’attente sera récompensée.

Vu.e.s à Mimos et retenu.e.s sur la rétine

Il y avait, bien sûr, Dévaste-moi, ce fascinant récital chansigné d’Emmanuelle Laborit, auquel nous consacrons un regard exclusif bien mérité [notre critique]. Et les femmes ont tenu l’affiche, bien au-delà. Aussi a-t-on a vu à Mimos, en juillet 2018, deux acrobates norvégiennes (membres de la compagnie française Galapiat Cirque) se suspendre par les cheveux, en jouant délicieusement avec les codes du cirque traditionnel. Elles étaient à Périgueux juste avant de venir au festival Paris l’été, avec le même spectacle facétieux, justement intitulé: Capilotractées.

On a vu Yasmine Hugonnet jouer avec son corps, ses cheveux et sa voix de ventriloque dans Le Récital des Postures, où tout est mis en position et en pose, pour inviter le spectateur à entrer dans une danse intérieure, aux côtés des côtes d’un corps et d’une intelligence chorégraphique de plus en plus côtés: Hugonnet signera, en 2018 et 2019, deux créations au Théâtre Vidy de Lausanne.

A une heure nocturne, on a vu Rémi Boissy lutter pour sa survie et sa liberté d’aimer, sous une grille de lames prêtes à lui couper bien plus que son souffle. Il n’y entendait pas danser, juste se battre. Aussi incarne-t-il, avec son Rapid Life Movement, une danse sur la frontière invisible entre le théâtre gestuel (en franglais : théâtre physique) et la composition chorégraphique. Et par ailleurs, plus de Mimos sans la poésie d’une danse entre étincelles et flammes. La Fille d’Hestia de l’ensemble Mystica Salvaje - issu de la fameuse compagnie La Salamandre - a emporté 1500 spectateurs nocturnes dans une poésie aussi ardente qu’aérienne et remarquablement musicale, grâce aux compositions de Yuna Le Floc’h.

Et puis on a vu à Mimos un certain Thomas Chaussebourg. Dans sa coupole ressemblant à une volière, entouré de 1500 convives, on l’a vu s’envoler une fois de plus aux côtés de son sublime étalon War Zao, son double aussi charnel que métaphysique, dans leur duo intitulé Ma Bête Noire. Dans leur complicité sans limites, les deux incarnent, sur les airs de Bashung, la nécessité d’un absolu. Au fil des années, Ma Bête Noire est devenu un classique. Mais Chaussebourg, à l’origine un chanteur de rock, converti en danseur grâce Odile Azagury (dernièrement à l’affiche dans Avant toute disparitions de Thomas Lebrun [notre critique]), assure que de lieu en lieu, la liberté de War Zao et les vibrations du public font de chaque représentation un événement unique.

Duo d’escalier

C’est tout aussi vrai pour le Duo d’escalier avec Camille Fauchier et Laëtita Vieceli qui mènent la Compagnie Née d’un doute. Presque une création et surtout, un spectacle in situ qui change radicalement avec la cage d’escalier et le bâtiment ou l’immeuble qui l’accueille. A Périgueux, Fauchier et Vieceli ont investi un hall d’accueil semi-public, doté d’un grand escalier central. Monter les marches y revenait à tamiser les corps comme derrière un store vénitien. Les textes diffusés par casque révélaient alors les détails, à l’intérieur comme à l’extérieur, de l’environnement architectural et urbain. Une inscription par-ci, une statue par-là, en jouant avec ceux qui passent dans la rue...

Photos : Sun A Lee

Dans le Off, le Théâtre du Peuple Lié

Dans le Off aussi, les découvertes peuvent éblouir, et ce non seulement à cause du soleil impitoyable, s’abattant sur ces  compagnies qui jouent dans la rue ou des cours intérieures. Entre théâtre gestuel et danse, A force de, la création toute récente du Théâtre du Peuple Lié, compagnie fondée par Marie Lauricella en 2009, traverse la rencontre d’un couple, l’attente de l’amour, les passions si difficiles à maîtriser... Une femme et un homme doivent se défaire de leurs angoisses et leurs démons pour se lier. Mais chaque personnage se divise en trois et a autant à lutter avec ses propres facettes cachées (qui peuvent relever du « sexe opposé ») qu’avec la personne en face. A qui s’adresser, avec qui négocier? Alors qu’on cherche la tendresse, les altercations chorégraphiques peuvent être violentes.

Photos Thomas Hahn

A force de, c’est six danseurs et mimes de pays divers et variés, formés en danse contemporaine, mime, clown ou acrobatie, qui affichent une présence individuelle et collective des plus fortes, sachant se jouer, avec brio, des frontières entre les langages artistiques du geste théâtral et chorégraphique. Les costumes blancs signés Lou Pfaffmann sont une surface de projection de plus, intemporelle, sobre, soulignant l’unité d’une compagnie qui apporte ici de jolies briques à l’avenir des arts du geste et à leur reconquête d’un territoire en pleine redéfinition, entre tradition et nouvelles libertés.

Thomas Hahn

Spectacles vus du 23 au 28 juillet 2018, festival Mimos, Périgueux.

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