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Le « Cri de Cœur » d’Alan Lucien Oyen à l’Opéra de Paris

Le Norvégien fait entrer la danse-théâtre au Palais Garnier, mélangeant réel et fiction. 

Il y a quatre siècles, Calderon de la Barca suggéra, par le théâtre, que La vie est un songe. Mais si la vie est un songe, qu’est-ce que la mort, qu’est-ce que la mémoire ? Si la vie est un songe, le réel se joue-t-il sur la scène ? Il y a des chances. « Tout sur scène n’est pas faux, tout dans la vie n’est pas vrai », selon le réalisme onirique qui nourrit le Cri de cœur poussé par Alan Lucien Oyen sur la scène du Palais Garnier. « Mais c’est mon appartement », proteste Marion (jouée par Marion Barbeau) quand une voix off appelle tous les danseurs à se diriger vers les sorties puisque « la scène est en train de se terminer ». Mais elle admet : « Mon appartement est un théâtre. » Dans cet appartement surgit un homme qui dit n’être personne et s’appeler ainsi, pour affirmer qu’il incarne peut-être tout ce que son hôte involontaire n’a jamais osé vivre. 

Du jamais vu, car avec Alan Lucien Oyen il y a du théâtre sur le plateau du Palais Garnier, du théâtre dans lequel la danse surgit avec un naturel confondant. C’est la marque de fabrique du jeune Norvégien qui cultive son style entre danse, théâtre et images filmées en direct. [Lire notre critique]. Il ajoute ici une excursion dans l’univers des dioramas, appliquant aux humains cette pratique ancienne de présenter des animaux empaillés dans une vitrine en construisant leur habitat naturel. Les décors signés Alexander Eales, soulignant l’artifice de la situation des cadres géants peuvent inverser la situation, et au lieu de trouver un tableau accroché à un mur, on regarde la maison à travers le cadre.

Comme dans un songe, ces cadres entrent, sortent et se transforment pendant que les situations varient et se répètent. Marion et son prétendant traversent plusieurs histoires et relations. Et pendant un certain temps, leur rêve éveillé peut intéresser le spectateur. Les jeunes danseurs de l’Opéra de Paris, visiblement friands de cette expérience nouvelle, se lancent à cœur joie dans l’univers théâtral et surréel d’Oyen. Ils dansent en solo ou en duo comme si leur existence était en jeu, et forment un corps collectif comme s’ils étaient les danseurs du Ballet national de Marseille dans Room wih a view  [Lire notre critique], sauf que ceux-là sont plus rompus à l’exercice. 

Ils sont ainsi plus de trente jeunes danseurs du Ballet de l’Opéra : sujets, choryphées ou quadrilles, avec Marion Barbeau (seule Première danseuse) et Héléna Pikon du Tanztheater Wuppertal (artiste invitée) comme doyennes, dans les rôles principaux féminins. La présence de cette grande interprète de Pina Bausch est une belle prise d’Oyen faite à Wuppertal, où il créa en 2018 Bon voyage, Bob  dont on retrouve les décors décrépis d’appartements d’autres époques [Lire notre critique]. Elle incarne ici une mère mythologique, souvent présente en image sur le mur de fond, filmée en noir et blanc comme dans certains films de Bergman et autres réalisateurs mythiques du nord. 

Cet univers exerce ses charmes, au moins pendant quelque temps. Car les accidents de ballet se multiplient. Pas dans le sens où Monsieur Personne tire sur des personnages à tête d’animal et prévient leurs mères par téléphone : « Je suis désolé, un accident de ballet… » Mais dans le sens où, après l’entracte, la pièce elle-même semble disparaître dans le creux de son absence-présence. La glissade s’annonce à la fin du premier acte, quand Marion prend la parole en thérapie de groupe et prévient : « Je vais jouer ma propre mort. » A la fin du second acte, elle erre dans la forêt et croise le Dieu de la mémoire (« Tu m’a oublié ! »). Rencontre fatale…

Galerie photo © Agathe Poupeney / Onp

« Je crois que je suis obsédé par la mort », dit Oyen. Il inscrit dans le programme une page du livre When Breath becomes Air  du neurochirurgien Paul Kalanithi qui remarque que « les neurochirurgiens opèrent dans le creuset de l’identité : chaque opération sur le cerveau est par nécessité une manipulation de la substance qui nous fait être. » La salle d’attente et le médecin qui font leur apparition sur le plateau ne disent pas de quelle maladie ils sont le nom. 

Mais un diagnostic s’impose. Oyen – qui mesure au bas mot 1,90m – semble voir trop grand à travers ses énormes lunettes de geek. Une pièce dans des dimensions plus modestes mais mieux adaptées peut lui paraître trop exiguë. Dommage. Car on l’a vu à l’occasion de sa création à Wuppertal, comme ici à l’Opéra de Paris : Oyen a du carburant pour une heure de spectacle intense. Ensuite, il brasse du vent. Cette pièce en creux n’est donc pas le résultat des deux ans et demi d’interruption des répétitions en raison de la pandémie subis à partir de 2020, mais bien un trait de caractère artistique. Pourquoi s’impose-t-il – ou lui impose-t-on – des formats de plus de deux heures avec entracte dans lesquels il se perd ? 

Thomas Hahn

Vu le 20 septembre 2022, Opéra national de Paris, Salle Garnier

Représentations jusqu’au 13 octobre 2022

 

 

 

 

 

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