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La soirée très new-yorkaise de Stephen Petronio

A Montpellier danse, les morceaux choisis de Merce Cunningham, Yvonne Rainer, Steve Paxton, composent un programme très éclairant sur l'histoire de la danse des années 70-80.

Ce fut très excitant d'observer, d'entrée de soirée, la pièce Tread, que Merce Cunnigham composa en 1970. Elle est pleine d'étranges figures, plutot délurées, fantaisistes. Des portés de toutes les manières, face-à-face et face-à-dos et quasi sac à dos. Des couchés penchés. Des écarts basculés. Des chutes sans barguigner. Des escalades d'épaules. Des agrippés par la cheville. De stupéfiants emboîtements dans un tournoiement de saute-moutons par-dessus la jambe tendue arrière du partenaire. Etc.

Il ne s'agit quand même pas d'une démonstration de farces et attrapes. Ce qu'on y trouvait le plus intéressant était la qualité d'investissement interprétatif. Les danseurs de la compagnie new-yorkaise de Stephen Petronio abordent Cunningham sans crainte de le lester d'une pesanteur gravitaire. Ils lui gardent quelque chose d'un peu rugueux. Mais surtout, ils l'incarnent. Très présents à leur action.

Galerie photo - Tread © Laurent Philippe

Suivait la forte séquence esthético-politique de Trio A With Flags. Yvonne Rainer signe le bref duo Trio A en 1966. Cette pièce est restée emblématique des écritures chorégraphiques issues des expérimentations et refondations radicales du Judson. Elle déroule une gestuelle absolument homogène, vidée de toute scorie d'une émotivité des accents ou des allants. C'est un bréviaire de la sobriété déroulée de la structure faite langage.

Or Stephen Petronio a pris l'option de la restituer combinée à l'une de ses variations très singulières, "with flags" donc. En 1970, la guerre du Vietnam fait rage. Dans les manifestations qui s'y opposent, la bannière étoilée est souvent mise à mal. Les autorités américaines engagent la répression contre ces sacrilèges symboliques. Yvonne Rainer organise alors une soirée qui en remet une couche : le détournement du drapeau U.S. y devient la consigne même pour les performances artistiques. En ce qui la concerne, le Trio A sera dansé nu, avec pour seul "vêtement" le drapeau noué en barboteuse autour du cou, loin donc de dissimuler grand-chose de l'anatomie intime du danseur et de la danseuse.

Galerie photo - Trio A With Flags © Laurent Philippe

La chose reproduite quarante ans après, à froid si on ose l'écrire, n'a évidemment pas la même prégnance de provocation politique. Du reste, ce soir là à Montpellier, on se prend à songer qu'on en est au cinquiantème anniversaire, jour pour jour, des émeutes de Stonewall, qui fondèrent le militantisme gay moderne.

Retour sur scène. La combinaison du Trio A With Flags de 1970 (en silence) et celui originel de 1966 avec musique rajoutée, et dansé à quatre, donne à penser sur ce qui se fait visible ou invisible, ainsi que lisible ou pas, dans les signes dont est porteur tout corps dansant, combiné à sa scénographie. C'est plutôt passionnant.

Galerie photo - Goldberg Variations © Laurent Philippe

La troisième séquence historique restituait, dans un extrait hélas fort bref, et sur une sonorisation  ahurissante (pitié, mais pitié pour Jean-Sébastien Bach, tout de même), les Goldberg Variations dansées en impro depuis 1986 par Steve Paxton. Il s'agit d'un chef d'oeuvre de la danse contemporaine. Le danseur Nicolas Sciscione en donne aujourd'hui une interprétation suprenante, mais non moins captivante, toute en rugosité assez cassée, teintée d'un genre de sauvagerie virile, loin de la cristallisation perceptive de l'état de corps paxtonien. On ne voit pas de raison de refuser a priori ce décalage plutôt gaillard.

Galerie photo - American Landscapes © Laurent Philippe

On ne peut que comprendre le désir de Stephen Petronio, de conclure par une pièce de son propre cru. American Landscapes, création 2019, s’inscrit de fait dans cette filiation et brosse à larges traits chorégraphiques, une sorte d’histoire des Etats-Unis, dans toute sa beauté et sa complexité.

Gérard Mayen

Spectacle vu le vendredi 28 juin au Théâtre de l'Agora de la danse à Montpellier, dans le cadre du Festival Montpellier danse.

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