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La Manufacture : Un CDCN à cheval sur Bordeaux et La Rochelle

La Manufacture CDCN, pôle majeur de l’art chorégraphique en Nouvelle Aquitaine, est le seul Centre de Développement Chorégraphique National à être implanté sur deux villes. En quoi sa mission est-elle particulière et quelles sont les relations entre la direction, les artistes et les publics ? Portrait d’un CDCN pas comme les autres. 

Danser Canal Historique : Pouvez-vous nous présenter La Manufacture CDCN ? Quelles en sont les spécificités ? Quel rôle joue-t-il sur le territoire aquitain ? 

Lise Saladain : La spécificité est d’abord l’implantation sur le territoire, car La Manufacture CDCN recouvre deux espaces situés à deux heures de route l’un de l’autre, à Bordeaux et La Rochelle. Nous créons une circulation naturelle entre les deux espaces ce qui crée aussi une vraie circulation des artistes dans la région Nouvelle Aquitaine, ce qui est d’un intérêt réel pour les artistes. Nous avons reconfiguré la totalité du projet depuis 2019 et nous commençons aujourd’hui à voir les effets de ce travail, notamment concernant la question de la circulation des artistes. L’autre particularité est que nous sommes deux, Stephan Lauret et moi-même, à gérer le CDCN, à prendre les décisions et à penser la programmation. 

DCH : Comment se présentent vos espaces de travail à Bordeaux et La Rochelle ? 

Lise Saladin : A Bordeaux, le CDCN est logé dans une ancienne manufacture de chaussures avec son empreinte industrielle toujours très présente. Nous avons une salle de spectacle, un espace de répétition et un autre, assez conséquent, pour l’accueil du public. Et à La Rochelle, un studio qui est de l’ordre du laboratoire, à la Chapelle Saint-Vincent, également un lieu très spécifique. Cette configuration nous permet de travailler dans un rapport à la danse qui est à la fois complexe et fécond, puisqu’on sait que la danse a besoin de plateaux spécifiques qui tiennent compte de la physiologie des danseurs. Nous avons donc un lieu sur Bordeaux qui est plutôt un lieu de diffusion, même s’il y a notamment entre dix et quinze résidences par an, et un laboratoire de recherche à La Rochelle. A Bordeaux, nous accueillons en cette saison 21/22 plus de soixante représentations, pour une centaine d’ouvertures au public, ce qui est vraiment conséquent pour un CDCN. Cet engagement fort découle du constat d’un manque de diffusion et de visibilité pour la danse. 
 

DCH : Nous connaissions la CDCN sous le nom de Le Cuvier, à l’est de Bordeaux, à quelques kilomètres seulement du centre-ville. 

Lise Saladain : Le CDCN est implantée à Bordeaux depuis 2018, suite à une relocalisation, intervenue quand la nouvelle municipalité d’Artigues-près-Bordeaux ne souhaitait plus accueillir un centre chorégraphique. La municipalité de Bordeaux a souhaité nous accueillir. L’outil a été modifié pour vraiment nous accueillir à partir de 2019. Et nous travaillons dans la Chapelle Saint-Vincent de La Rochelle depuis avril 2019, suite au souhait de la région et de l’état qui voulait que nous reprenions ce lieu à La Rochelle qui était géré par l’association Les Eclats.

DCH : Vous définissez la ligne artistique du CDCN à deux. Comment peut-on la définir ?

Lise Saladain : Je dirais que cette programmation est façonnée dans le dialogue et pour le dialogue, et notamment par les questionnements qui animent les artistes. Autrement dit, nous n’avons jamais abordé la programmation en nous disant que nous voulions travailler autour d’une thématique. Nous nous disons plutôt que nous observons les conditions pratiques du moment et les questions qui ressurgissent de manière fréquente chez les artistes, les points forts et les points d’orgue. Pour nous, la programmation est donc un miroir de sujets sociaux et sociétaux. Ce sont des sujets qui traversent les artistes et qui par ailleurs nous traversent aussi puisque nous ne sommes pas hors sol. Et au vu des temps que nous vivons depuis un moment, il ressort fortement à quel point les artistes sont de vrais visionnaires et nous parlent des choses du monde de manière différente des scientifiques et des politiques. Les artistes en parlent de manière transgressive et émancipatrice, et c’est ce qui nous plaît. Nous sommes des militants de la danse, donc peut-être pas toujours objectifs, mais nous considérons que la danse développe une qualité particulièrement importante aujourd’hui : Elle force l’observation et ouvre le regard. 

DCH : La vie artistique de CDCN est donc une histoire de rencontres entre vous deux et les artistes ? 

Lise Saladain : Tout à fait. Il y a un dialogue qui s’engage avec les artistes quand nous commençons à les suivre. Ensuite nous les accompagnons à la création et la production, sur le long terme. Et cette rencontre peut s’aménager de manière complètement différente d’une situation à l’autre. Bien sûr, nous ne sommes pas les seuls à nous engager de cette manière. Nous travaillons au contraire en réseaux avec d’autres structures. Nous appartenons au réseau La Danse en grande forme, un dispositif qui a été initié par La Manufacture CDCN et soutient des projets de création pour au minimum huit interprètes. Nous travaillons aussi avec Petites Scènes Ouvertes et d’autres regroupements, plus informels. Ces espaces partagés permettent de dialoguer et d’échanger au sujet des artistes et nous intéressent parce que nous essayons le plus possible d’entendre également des artistes que nous ne connaissons pas et de découvrir leur travail. 

DCH : Selon quels principes établissez-vous la programmation d’une saison chorégraphique à La Manufacture CDCN ?  

Lise Saladain : Il y a un enjeu majeur, une interrogation qui nous traverse : Comment peut-on provoquer des expériences chez les personnes ? Nous travaillons à partir de trois enjeux majeurs qui font qu’on choisit telle ou telle œuvre ou création. Le premier découle de notre vision à l’intersection d’une diversité d’esthétiques chorégraphiques. Depuis quinze ans environ, nous prenons la question de la diversité à bras le corps.  Nous avions par exemple occasionné, il y a très longtemps, une soirée partagée entre Jérôme Bel et Thierry Malandain et cette expérience a été très jouissive pour les spectateurs. Cette question de la diversité des esthétiques en danse est aussi liée à la porosité des champs disciplinaires. Nous considérons en effet que la danse est un des arts les plus généreux à la pluridisciplinarité. 

Ensuite, il y a un deuxième point, c’est notre l’exigence sur la constitution d’une corporéité singulière et novatrice : Comment l’artiste chorégraphe procède-t-il pour créer le geste qui va advenir sur le plateau ? Nous avons besoin, aussi dans le travail de médiation, de qualifier un travail d’auteur à partir de la manière dont celui-ci compose le corps. Autrement dit, nous avons besoin d’artistes qui ont une vraie réflexion à ce niveau. Et quand on s’entretient avec des chorégraphes on se rend compte très vite du degré de réflexion qui a été menée au sujet de la manière dont elle ou il construit le corps de ses interprètes. 

Le troisième point concerne la manière dont se construit le récit entre les chorégraphes reconnus et les artistes émergents ou autrement dit, entre la création et l’histoire de l’art. Et comment nous construisons cette articulation dans la diffusion des pièces que nous proposons.  Car on va certes programmer Boris Charmatz, Gisèle Vienne et autres De Keersmaeker, mais aussi proposer des univers qui sont intéressants à découvrir, même s’ils ne sont pas encore arrivés à maturité.

DCH : Vous menez également un travail en direction du jeune public, notamment avec le festival Pouce [Lire notre article]. Quelle en est la fonction dans la programmation globale de La Manufacture CDCN ? 

Lise Saladain : Le festival Pouce est né d’un constat : Nous avions tellement travaillé en direction des établissements scolaires qu’à un moment donné nous ne trouvions tout simplement plus assez de créations pour le jeune public pour répondre à la demande de la part des enseignants. Le second enjeu était le nombre croissant de chorégraphes qui s’interrogent sur la manière de s’adresser au public jeune. Il fallait donc mettre en perspective ces enjeux. C’est pourquoi nous avons frappé aux portes de la municipalité et composé ce festival. 

DCH : Le public jeune est un enjeu important. Autour des quelles réflexions s’articule votre programmation ?

Lise Saladain : Nous ne voulons pas afficher une programmation, mais créer un vrai échange au sujet de la dimension éducative de l’art. Au sein de l’édition 2022 qui s’est déroulée en février, nous avons organisé des journées professionnelles sur la relation entre l’art et l’adolescence et la manière dont les pratiques culturelles des jeunes transforment certaines œuvres, pour engager une mise en réflexion de ces pratiques éducatives. La réflexion est nécessaire car nous accompagnons environ une cinquantaine de classes par an avec en moyenne une dizaine d’heures d’interventions par les chorégraphes, des approches de la culture chorégraphique, un accompagnement au spectacle et une restitution, pas forcément physique, de ce qui a jalonné le temps de travail de ces jeunes. Le festival Pouce est la base de notre travail avec les classes d’élèves. 

Propos recueillis par Thomas Hahn

https://www.lamanufacture-cdcn.org

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