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« Initio », un opéra chorégraphique

Tatiana Julien et Pedro Garcia-Velasquez présenteront pour la première fois la version live d'Initio du 29 novembre au 2 décembre à Chaillot-Théâtre national de la Danse.

L’opéra chorégraphique serait-il un genre qui a le vent en poupe ? On peut en ce moment, à Paris, étudier comment Anne Teresa de Keersmaeker met en scène Cosi fan tutte de Mozart avec les danseurs de Rosas, comme s’il s’agissait d’une pièce de danse contemporaine. En même temps, Tatiana Julien et Pedro Garcia-Velasquez ont conçu Initio, opéra de chambre chorégraphique, imaginé dès le départ dans l’idée d’une fusion totale entre chant et chorégraphie. La chorégraphe et le compositeur co-signent une œuvre dont ils assument conjointement la direction artistique, comme à l’époque Stravinski-Nijinski-Bakst. Mais ici, pas de décors peints. Juste des panneaux métalliques qui encadrent l’espace, et font office d’instruments à percussion, pour répondre depuis le plateau aux instruments enregistrés : Clarinette, saxo, violoncelle, violon, contrebasse et synthétiseur.

Le contre-ténor Rodrigo Ferreira, excellent comédien par ailleurs, incarne un personnage, au même titre que les danseurs. Ou inversement. Car il est au centre de l’aventure. Ermite, charismatique, discrètement illuminé, ce gourou brûlé par le soleil guide sa communauté à travers des déserts imaginaires, à la recherche d’un lieu sacré à créer, d’un abri où se forger un destin partagé et heureux, sous le regard direct d’une divinité que seul l’ermite sait désigner.

Cocktail explosif

Mais au  fond, n’est-il pas fasciné par les apparitions erratiques de la Sybille (Tatiana Julien), au moins autant que par son besoin de trouver confort spirituel et adulation terrestre? Quand des désirs aussi extrêmes se rassemblent en une seule personne, apparemment d’un esprit calme mais non moins tourmenté, le cocktail devient explosif. Et l’ermite est armé ! Initio commence en mode film noir, et se termine en drame. Et pourtant les fidèles ne se détournent pas de leur gourou à la douceur si redoutable. Au contraire...

L’errance et la quête d’un accueil spirituel ne sont pas sans rappeler la situation de départ dans Moïse et Aron de Schönberg. Mais le compositeur allemand et sa narration très surchargée par le récit biblique ont dû attendre la récente mise en scène de Romeo Castellucci pour trouver une épure contemporaine. Dans le cas d’Initio, la narration et le livret suivent d’emblée un fil simplifié à l’extrême, et le drame n’arrive que quand on ne s’y attend plus. Jusque-là, le scénario cède la vedette à la musique et à la danse. La partition se lance à travers une collection de stéréotypes en musique contemporaine, avant de trouver des voies plus personnelles, et finalement s’ouvrir vers des éléments plus jazzy et une écriture plus personnelle, permettant à Ferreira d’étonnants changements de registre.

Pureté

L’écriture chorégraphique oppose les solos enlevés de Tatiana Julien (La Sybille) au calme intérieur d’une danse proche de la prière, évoquant horizons et espérance. Les présences de Christine Gérard et Brigitte Asselineau sont précieuses. Leur différence d’âge avec les autres danseurs ainsi qu’avec Ferreira donne à ce minuscule échantillon de l’humanité un côté étonnamment universel, et à la chorégraphie aux gestes simples et dépouillés l’intensité d’une démarche intérieure et sincère, où se joue une rupture, un renouveau, une recherche de soi et d’absolu. Une traversée.

Initio tire sa force de  ce saut vers l’inconnu qu’est la recherche d’une source commune aux énergies artistiques, où danse, musique et chant avancent ensemble, comme les fidèles dans le désert. Une telle constellation artistique est nettement plus incertaine et instable qu’une configuration habituelle, où tel art vient illustrer tel autre. Si aucune discipline ne peut se mettre en avant, c’est vrai aussi pour les interprètes. Le but commun, le partage d’une souffrance et d’une espérance entre personnalités et générations différentes exige que les égos se mettent en arrière-plan, autant dans l’équipe créatrice qu’au sein du groupe de fidèles. Chaque geste chorégraphique, chaque giration travaille le lien et le partage, un état intérieur commun et une pureté à l’inspiration cosmique. Pureté finalement trahie, mais pas vaincue. La suite reste ouverte. L’avancée ne peut résulter que du courage d’aller vers l’inconnu. A condition de ne pas se laisser abuser par un manipulateur…

Thomas Hahn

Spectacle vu le 30 janvier 2017 au Théâtre de la Cité Internationale dans le cadre de la 19e édition de Faits d’Hiver

Inition en version live : du 29 novembre au 2 décembre à Chaillot- Théâtre national de la Danse

Conception : Tatiana Julien & Pedro Garcia-Velasquez
Chorégraphie : Tatiana Julien
Composition musicale : Pedro Garcia-Velasquez
Livret: Alexandre Salcède
Enregistrement musical : Le Balcon
Création lumière : Sébastien Lefèbvre
Création costume : Catherine Garnier

Interprètes : Rodrigo Ferreira (contre-ténor) et Brigitte Asselineau, Benjamin Forgues, Christine Gérard, Yoann Hourcade, Tatiana Julien (danseurs)

Spectacle créé en novembre 2016 au Festival Instances de l'Espace des Arts, Scène nationale Chalon-sur-Saône

 

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