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« Giro di Pista » d'Ambra Senatore et Marc Lacourt

Cela aurait pu passer pour le morceau de choix du Primavera, mais cette pièce jeune public de la patronne du CCN de Nantes créé il y a quelques mois s'est plutôt fondu dans la joyeuse kermesse de Primavera [voir reportage] jusqu'à en paraître l'extension. Ruse supplémentaire d'une pièce extrêmement maligne qui dissimule sa complexité sous l'apparence un rien guimauve des souvenirs d'école maternelle.

Oh comme cela commence mal… L'entrée dans la salle ne permet pas l'accès aux gradins mais à des tables où sont déjà installés quelques-uns qui s'affairent à dessiner. La personne tenant lieu d'ouvreuse explique qu'il faut faire un dessin ! L'atmosphère extérieure de fête d'école aura donc contaminé jusqu'au cœur du théâtre soudain ramené à l'atelier art plastique de la grande section de Mademoiselle Charriot, institutrice de mes souvenirs ! Au secours, la classe revient…

Et cela s'aggrave. Ambra Senatore avec le sérieux d'une assistante d'éducation en première semaine de stage, précise les conditions d'admission : il faut échanger le dessin que l'on doit placer dans une boîte que tient l'une des personnes présentes contre un caillou qu'il faut précieusement garder avant de passer de l'autre côté du rideau. Il faut s'asseoir sur le trait au sol… Et si on déborde, est-on patafiolé ?

Et à l'intérieur, passé le rideau, la gniangnianterie continue. Et tout le monde s'est assis, les petits devant, les grands derrière et Ambra Senatore qui se met à danser. Il faut reconnaître que, passées les élucubrations sur les petits cailloux, cela bouge drôlement bien et même qu'on en oublierait le tropisme éducatif et les trucs pour faire bouger le public. Et tous qui répètent et refont. Il y a un peu de musique qui arrive et la Senatore, toujours et avec cette fluidité narquoise, comme une danse avec un sourire en coin, séduit. Deux comparses s'en mêlent, Cécilia Emmenegger et Lisa Guerrero, pas manchotes non plus au demeurant qui s'empressent d'assister la patronne dans la récolte des petits cailloux péniblement distribués au préalable à l'assistance. Faire et défaire, c'est toujours redanser et force est de reconnaître que tout ce monde témoigne d'une belle imagination dans l'improvisation et que les cailloux sont collectés en moins de temps qu'il n’en faut pour ronchonner. Elles sont meilleures danseuses que comédiennes et l'on ne croit pas un instant à cette histoire de la boîte des dessins qui a été oubliée et tous ces petits papiers qui tombent comme par inadvertance des cintres ; après tout, l'occasion est belle de les regarder toutes les trois s'employer avec ce même enjouement à fixer les paperolles aux brins de guirlandes lumineuses descendues. Cela forme comme les nervures d'un chapiteau réduit à l'idéal : l'idée d'un lieu de spectacle qui n'aurait d'existence que dans l'évocation. Et les trois manutentionnaires en chorégraphie incitent l'assistance à pénétrer l'espace en se plaçant sous un dessin ; astucieuses, elles suggèrent surtout de venir s'installer sur l'un des multiples petits bouts de gaffeur qui ponctuent le plateau. Et voilà que tous, et sans le mesurer, viennent de se confronter à l'espace : celui du plateau et le leur, en propre, délimité par celui qu'occupe les autres. Jolie leçon.

Puis il s'agit de retrouver les gestes des petits cailloux du début. S'ensuit trois groupes. La règle revient à établir une séquence qui devient un processus… L'effet de groupe agissant, chacun dans l'enthousiasme en oublie ses préventions et copie son voisin sans garde pour sa propre image et les trois troupes composent un mouvement d'ensemble. L'une des intervenantes se trahit cependant : elle reconnaît que ce geste qu'elle confie vient d'une certaine Pina. Certes le déplacement collectif n'approche pas les danses chorales de Wuppertal, il faut raison garder, mais ainsi, l'idée y serait… Les trois groupes se croisent, s'organisent, se relancent dans une émulation de carnaval et une musique de fête. A la composition chorale répond le moment du groupe soliste soutenu par le chœur et l'on se dit que décidément, si cette leçon de composition n'a pas tout-à-fait la rigueur de l'enseignement de Christine Gérard (la grande dame en la matière qui forma des générations de futurs chorégraphes au conservatoire) l'idée n'est pas loin. Cela commence à faire souvent que derrière le jeu transparaissent quelques principes… Un peu trop souvent pour être un hasard quand même. On ronchonne moins et regarde plus soigneusement surtout que les trois opérateurs en concepts saltatoires suggèrent de reprendre le mouvement de danses chorales, guident les trois groupes en une seule et vaste spirale et le tout sur la musique du Lac des cygnes

Alors le processus s'éclaire : à un principe théorique sur la danse répond un jeu de maternelle. Et l'observateur de s'amuser à observer les parents qui jouant à suivre leur progéniture explorent des principes auxquels ils auraient sans doute été beaucoup plus rétifs sans ce détour. Ce Giro di pista (Tour de piste) développe l'idée curieuse d'une œuvre conceptuelle à destination du jeune public pour éclairer les adultes. Futé !

Philippe Verrièle

Vu le 27 mai 2023 au Centre Chorégraphique National de Nantes, dans le cadre  de Primavera. Dans le cadre des Nuits des forêts

C° AmieAmi : 17 Juin 2023 : dernier jour de Primavera en balade 
Dans le cadre des Nuits des forêts

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