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« Ether », quatrième « Dispositif » de Philippe Saire

Au Centre Culturel Suisse, un duo s’est frotté à des sculptures singulièrement mouvantes. Fumée, vapeur ou éther?

De petites boucles blanches apparaissent en haut d’une paroi, et descendent lentement, l’envahissant de bout en bout pour former une nappe verticale, tel un plan d’eau agité par le vent. Brouillard ? Gaz ? Ether ? Cette fumée-là forme des paysages dans lesquels s’engouffre David Zagari pour les dissiper de sa chair et de son souffle, et elle réagit à la présence humaine telle une seconde peau, avant de se disperser.

Quand la série s’intitule Dispositifs et que le quatrième et dernier volet met en jeu une substance aussi éthérique, il est clair qu’on n’a pas (seulement) à faire à l’habituel brouillard de théâtre qui aime déborder du plateau pour envahir les premiers rangs. On pourrait soupçonner la sculpteuse de brume japonaise Fujiko Nakaya d’être à l’origine de ces tableaux vivants, mais la « création fumées et lumières » est  signée Antoine Friderici.

Une sensation de froid se dégage de cet éther qui part en fumée. Est-ce lui qui fomente l’étrange ambiance entre l’homme et la femme ? Si Marthe Krummenacher (1) et David Zangari représentent un couple, il doit s’agir de l’un de ceux qui ont passé trop d’années ensemble et accumulé trop de blessures. Chaque geste échangé commence telle une promesse de douceur et s’abime dans une violence sourde et sous-jacente. Entre une caresse et une menace d’étranglement, les humeurs sont bien plus soudées que ces amants-là, qui ne cessent de se quitter pour se rejoindre malgré tout.

Mais s’agit-il vraiment de raconter une relation humaine ? Ce duo est autant lié à une autre histoire, à savoir l’histoire de l’art. Saire aime se référer au sfumato et au clair-obscur, dans un jeu d’apparitions et de disparitions, comme dans Vacuum, montré à Chaillot - Théâtre National de la Danse en mars 2016.

Dans Ether, deux parois forment un espace conique très resserré, avec une fente au bout du plateau, entonnoir ou Origine du Monde, qui libère et avale les personnages, tout au long de la pièce. Des deux lignes de fuite, l’une est donc régulièrement  envahie par les paysages verticaux et volatils d’une étrange substance, aussi ambivalente qu’est ici la relation entre Elle et Lui. Dans leur étrange relation, elle ne rentre jamais dans la fumée, comme si l’éther était déjà cette féminité englobant l’homme.

Galerie photo © Philippe Weissbrodt

Mais sommes-nous vraiment au cœur d’un « Dispositif »? Dans Black Out de Philippe Saire, une matière noire et granulée conditionne chaque geste alors qu’une structure construite sur mesure permet au public de suivre la pièce en surplomb. Dans Vacuum, les deux danseurs  sont intégrés dans un agrès fait de tubes métalliques et de néons, structure qui reste un mystère jusqu’à la fin du spectacle.

Dans Ether cependant, la paroi mystérieusement inondée de fumée tient plus d’un élément scénographique. Le duo joue avec cette substance volatile, mais est libre d’y entrer ou d’en sortir, d’interagir à sa guise avec un « dispositif » qui n’a que son mystère pour attirer les personnages - et le public qui tombe sous le charme.

Thomas Hahn

Spectacle vu le 24 mai 2018, Paris, Centre Culturel Suisse

Concept et chorégraphie : Philippe Saire

Chorégraphie en collaboration avec les danseurs Marthe Krummenacher et David Zagari
Création lumières et fumées : Antoine Friderici
Création sonore : Stéphane Vecchione
Costumes : Tania D'Ambrogio
Construction : Hervé Jabveneau

1. On retrouvera Marthe Krummenacher dans Zaoum de Cindy Van Acker, les 31 mai et 1er juin, aux Rencontres Chorégraphiques.

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