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Entretien avec Alexandre Roccoli

Alexandre Roccoli présentera Longing, le 10 juin prochain au Palais de la Porte Dorée dans le cadre du Festival June Events. Retour sur l'élaboration de la pièce...

Danser Canal historique : Parlez nous de Longing...

Alexandre Roccoli : Je vais revenir aux origines du projet pour qu'on comprenne bien le sens de ma démarche. Au départ, Malika Djardi, Benoist Bouvot et moi nous nous sommes rencontrés pour travailler en maison d'arrêt. Un gros projet qui était très important pour moi parce que depuis des années, je travaille dans des lieux de privation de liberté, j'ai beaucoup travaillé en hôpital psychiatrique, j'avais travaillé et je continue aujourd'hui avec des dames en maison de retraite, qui ont la maladie d'Alzheimer, ce qui va conditionner ma prochaine création à Décines.
À partir de ces expériences, nous avons eu envie de tirer les puissances d'écriture chorégraphique. Longing est un projet vraiment collectif, où chacun est créateur et c'est pour ça que j'ai demandé à Malika Djardi, qui est elle-même chorégraphe, de collaborer avec moi sur Longing, qui se tisse autour de mes différentes recherches. J'ai choisi le mot Longing pour l'attente (en maison d'arrêt, les gens attendent), mais aussi pour exprimer le désir « d'aller vers » et pour la mélancolie que le mot porte en lui. La référence à la cellule est claire puisque Malika Djardi dessine les contours d'un espace de 6 mètres par 6 (la surface d'une cellule à la maison d'arrêt de Corbas), tout comme le choix du dispositif quadri-frontal qui évoque les réflexions de Michel Foucault sur l'enfermement (Surveiller et punir, Michel Foucault, Gallimard, 1975. NDLR).

Pour le reste, ça part à la fois de la collecte que j'ai entrepris depuis 2012 de gestes qui disparaissent, issus du travail des ouvriers ou des artisants, ce que produit dans le corps ces gestes répétitifs, et de mon travail sur les danses de possession, la transe. L'écriture s'appuie sur différents motifs récoltés (chorégraphiques, rythmiques, perceptifs) en prison. Longing convoque également des spectres de danse distincts, comme les danses de Tarenta ou encore celles des guerriers de la vallée du Rif, au Maroc.

DCH : Comment s'est fait le travail en prison ?

Alexandre Roccoli : Je travaille en maison d'arrêt (à Corbas) depuis un an et demi. Et je vais continuer parce que j'ai eu la chance de rencontrer Adeline Hazan (la contrôleuse des privations de liberté en France), une femme formidable. Avec elle j'ai un gros projet, qui consiste à faire en sorte que ce que j'ai mis en place à Corbas puisse se diffuser ailleurs. Soit, différents types d'ateliers qui permettent aux détenus d'avoir une approche de leur corps de l'intérieur. Concrètement, ils font beaucoup de musculation et de foot et se construisent des corps-boucliers. L'importance de notre intervention en équipe est de leur donner la possibilité de connaître un peu mieux leurs shémas corporels et de travailler sur cette conscience là. Ces exercices pratiques ont été filmés et peuvent être diffusés entre les détenus, pour qu'ils puissent être autonomes et vivre la détention en ayant conscience de leur corps.

DCH : Quels sont vos projets ?

Alexandre Roccoli : Je travaille sur un diptyque Weaver, un projet pour les Nuits sonores que nous allons présenter dans la cour des Voraces (lieu emblématique de la résistance des Canuts au XIXème siècle. NDLR) et Raver pour une proposition au Toboggan à Décines, ville située à côté d'anciennes soieries. Cette pièce est une fiction qui articule des mémoires de corps altérées, éclatées, recousues et qui toujours avancent telles les 5 doigts de la main. L’hybridation des corps se contaminant rythmiquement comme un organisme soudé, vorace et solidaire, mutant dans un devenir “techno-sapiens”, un hommage à notre jeunesse libre dansante.
Ce qui m'intéresse, aussi bien dans Longing, que dans Empty pictures (précédente pièce) ou dans la prochaine pièce, c'est qu'il y a toujours derrière des spectres qui nous hantent, à la fois d'histoires, d'individus, de femmes travailleuses mais surtout l'histoire de la danse car il y a un hommage à Trisha Brown avec la pièce Floor of the forest. Un hommage également à la musique de Terry Riley, In C, qu'on peut traduire par En Do, composée en 53 cellules qu'on peut répéter autant de fois qu'on veut avant de passer à la suivante, et qui crée des tissages d'harmoniques. Comment on modifie cette base de donnée physique du corps au travail, qui par la répétition, va amener la transformation et donc l'idée de la transe. J'ai en effet choisi comme point d'orgue la répétition du geste pour partir à la dérive et proposer des expériences fortes et hypnotiques qui métamorphosent et décalent.

Propos recueillis par Gallia Valette-Pilenko

Longing, le 10 juin au festival June Events

 

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