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« Conspiracy Ceremony - HYPERSONIC STATES » de M. S. Guðjónsdóttir

Aux Rencontres Chorégraphiques, la radicalité d’une Islandaise qui creuse les secrets du tissu myofascial.   

Comme son nom l’indique, Margrét Sara Guðjónsdóttir vient d’Islande, pays auquel nous associons autant le froid que les geysers, la nature immaculée et les cendres volcaniques projetées dans les airs. Bref, un pays des extrêmes. Et on en vient à se demander s’il n’y aurait pas un lien entre la radicalité des paysages islandais et celles des artistes, de Björk à Erna Omarsdóttir ou Olafur Eljasson et tant d’autres...

Cependant, tous les artistes islandais ne restent pas en leur pays, loin de là. Comme Eljasson, Margrét Sara Gudjónsdóttir, la chorégraphe de Conspiracy Ceremony - HYPERSONIC STATES, vit et travaille à Berlin. Comment expliquer qu’un pays qui ne compte que 350.000 habitants présente au monde autant d’artistes de premier plan ? Par son imaginaire sans doute, car l’Islande tellurique et végétale est doublée d’un monde de l’invisible, de trolls et d’elfes. L’idée d’un univers parallèle n’y choque personne.

Urgences intérieures

Et il est vrai qu’il se passe des choses inouïes dans cette « cérémonie conspirationnelle » où Gudjónsdóttir fait intervenir cinq danseuses, le plus souvent séparément. Peu de mouvement, aucune interaction ni revendication de communication avec l’espace ou le public. L’hyper-état est une affaire intérieure. Et pourtant...

Personne, probablement, n’a jamais réussi à ce point à faire rimer état intérieur avec état d’urgence chorégraphique. Beaucoup de chorégraphes contemporains se sont pourtant attelés à la tâche. Sans grand résultat. Ressentir ce qui se trame à l’intérieur d’un corps ou de l’esprit d’un.e interprète demande habituellement au spectateur une capacité divinatoire aigüe.    

La Conspiracy Ceremony change la donne. Avec ses recherches sur le relâchement myofascial et son approche personnelle des pratiques somatiques, Margrét Sara Guðjónsdóttir a ouvert des portes vers l’invisible et la mémoire corporelle enfouie. Les interprètes parviennent, avec un minimum de gestes, à créer des champs énergétiques qui lient leur présence corporelle à des ailleurs mentaux très puissants et quasiment palpables.

Galerie photos © Jeannette Gnslov

Hyper-états

Mais le titre fait également référence aux hyper-états, ces hyperstates si prisés (ou fantasmés?) de la scène rave et de la science-fiction. Ajoutons que la musique électronique de Peter Rehberg déverse une force tellurique digne de légendes islandaises (et les hyperstates deviennent des hypersonic states) et que les états intérieurs des danseuses peuvent renvoyer à l’animalité, à la transe shamanique, à un état robotique, à la drogue ou à la possession.

En allant vers des états qui rappellent aussi les expériences les plus radicales de l’histoire du butô, chaque danseuse entame sa traversée personnelle, mais peut à un moment atteindre le relâchement, se libérer, se transformer en elfe désossée et se balancer dans une liberté absolue, affranchie de toute résistance de son appareil anatomique, consumant toute son énergie dans une brève envolée extatique.

Cérémonie ou démonstration?

Tout ceci est, par ailleurs, impossible à saisir à l’aide d’un objectif. C’est à vivre, sur place et avec les interprètes. Ilest d’autant plus dommage que le spectateur reste trop à l’extérieur de la cérémonie qui tient plus d’une démonstration que du partage, même si les danseuses sortent des rangs des spectateurs pour entrer en scène, même si la jauge est petite, pour donner à la chose un caractère conspirationnel. La frontalité du dispositif oppose de fait les performeuses au public, comme dans l’une des nombreuses conférences da la chorégraphe au sujet de ses méthodes somatiques. 

Guðjónsdóttir collabore ici avec deux compagnons de route de Gisèle Vienne, à savoir Rehberg et Anja Röttgerkamp (dramaturgie) qui réussissent parfaitement leurs paris quand ils s’engagent aux côtés de la Franco-Autrichienne. Mais pour tirer le meilleur de l’univers de Guðjónsdóttir, il faudrait ici quelqu’un comme Lia Rodrigues avec son savoir-faire de la rencontre entre artistes et spectateurs, pour entrer au cœur de la cérémonie, pour révéler au public la pleine dimension des « états intimes et presque douloureux » revendiqués par la compagnie.

Thomas Hahn

Spectacle vu le 19 mai 2018, Saint-Ouen, Mains d’œuvres

Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

Chorégraphie, conception, costumes: Margrét Sara Gudjónsdóttir

Chorégraphie, interprétation : Johanna Chemnitz, Catherine Jodoin, Laura Siegmund, Marie Topp, Suet-Wan Tsang
Musique : Peter Rehberg
Lumières : Martin Beeretz
Dramaturgie : Anja Röttgerkamp
Consultant à la dramaturgie : Richard Aslan

 

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