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« Communextase » de Christophe Haleb

« Du point de vue de l'art, la promesse du commun, c'est peut-être de nous inviter à penser les œuvres non pas comme des spectacles mais comme des formes de vie, des modes sensibles d'être au monde » : on repère cette phrase du chorégraphe Christophe Haleb, dans un texte passionnant qu'il fait circuler à l'issue de sa résidence Hors les murs de l'Institut français, au printemps dernier à La Havana à Cuba.

Frappé par la forte présence des corps sur l'île communiste, il n'en fait pas objet de contentement touristique, mais sujet à réflexion sur la place du désir comme moteur des destinées collectives. Finement, il s'interroge sur l'impact de l'éviction officielle de l'influence catholique en la matière, depuis trois générations déjà à Cuba.

À contre-courant des régressions moralisatrices qui nous encerclent, Haleb remet la jubilation, la sexualité, au cœur d'un commun possiblement révolutionnaire. Le titre de sa dernière pièce est Communextase. Il faut prendre le temps de lire ce néologisme. Avouons-le d'emblée : on adhère.

« Ce qui me touche dans la danse, c'est la capacité à créer beaucoup de mouvements dans les corps, de regards, de fenêtres subjectives, de manières de toucher, d'être touché, de se rapprocher des autres corps » écrit encore l'artiste, en rêvant d' « avancer dans une révolution somatique, intégrale et intégrante ». Voici des années qu'animé de pareilles utopies, Christophe Haleb n'a pas tant produit de spectacles, que provoqué des situations collectives, tentant d'emporter les spectateurs dans l'expérience sensible de déplacements insolites, parfois festifs.

De façon paradoxale à présent, derrière ce titre de Communextase qui résume si bien tout cela, la dernière pièce de l'artiste opère un retour au format conventionnel du plateau, où elle se donne frontalement face à une salle. Dans ces conditions, quelles modalités de représentation inventer, qui préservent une dimension de présence impliquant le corps des spectateurs mêmes ; produisant un « mode d'être au monde » plutôt qu'un « spectacle » ?

Ce qui réjouit dans l'écriture de Christophe Haleb, c'est son inépuisable fécondité, pleine de chaleur sensuelle et d'ironie politique. Il demeure inclassable, bravement hors courant, dans son mélange de radicalité de propos, et d'abondance jubilatoire des formes. Le traitement de l'espace est particulièrement choyé dans Communextase, où des panneaux amovibles le compartimentent, mais l'amplifient aussi quand ces panneaux deviennent des écrans de projection.

Par là sont permis des resserrements sur les danseurs en gros plan, ou encore la convocation du hors champ visuel du monde urbain contemporain ; également des jeux passionnants entre performances simultanées en version nue et version habillée. Quelque chose se dispute, rebondit, intrigue, dans la saisie d'un espace mouvant incorporé. Et une étrange installation luxueuse de verres dits de Versailles signe une gourmandise de provocations. Non sans casse.

Il y a tout autant de générosité gestuelle, de variété expérimentée des usages du corps, du côté des quatre danseurs : trois garçons, une fille, elle plutôt comédienne à l'origine et prononçant des segments de réflexions en commentaire. Les corps s'imbriquent, avec ce goût du rapport concave et convexe qu'on connaît à Haleb. Des gestes décochés, rebelles, presque des transes parfois, peuvent alterner avec des pauses de fusion sensuelle, tableaux allanguis, suggestifs, ou bulles d'humeur romantique. C'est tout un désordre savant, de séquences à fort impact expressif, où l'extase se suggère sans oublier les colères, les passions et les risques.

Mais est-ce excès d'abondance ? Ou d'excellence savante ? Au moins aux soirs des premières (avec toujours une tenson particulière), il a semblé que cela faisait tout à fait spectacle, image gratifiante s'exposant devant les yeux sans bousculer une empathie kinesthésique. On ose une hypothèse : l'art d'Haleb est aussi celui d'intenses complicités cultivées chez ses collaborateurs autour de lui, dans la traversée d'expériences hors du commun. C'est sa force communautaire ; mais cela peut-être au péril de générer une satisfaction d'un entre-soi – particulièrement masculin homo-référencé – qui en vient à se laisser voir.

En tant que comédienne, voire simplement en tant que femme, il nous a semblé que Caroline Breton, ne manquant pourtant pas de trempe, avait du mal à y trouver toute sa place. Il y aurait, décidément, beaucoup à analyser sur les performances de genre dans l'interprétation scénique.

Gérard Mayen

Spectacle vu le 9 octobre à la friche La belle de mai (Marseille) dans le cadre du festival Actoral.

 

 

                                           

 

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