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« Bocas de Oro », création de Marcela Santander Corvalán

A La Manufacture CDCN Nouvelle-Aquitaine, une excursion latino-américaine pour sonder les secrets de la pierre et du monde.

La veille de la première de Bocas de oro au CDCN La Manufacture, Marcela Santander Corvalán décide de se débarrasser de sa longue chevelure bouclée, pour diversifier les physionomies au sein du quatuor qui  interprète sa première pièce de groupe. Deux personnages aux coiffures semblables, elle n’en veut pas, mais elle évite à son interprète Luara Learth Moreira de subir la procédure. Santander Corvalán assume crânement, comme elle assume ce quatuor dont l’idée part, comme elle l’expliquait dans notre entretien, d’une sensibilité pour l’histoire du peuple Tiwanaku de la Bolivie actuelle et de sa légende autour de la Porte du Soleil selon laquelle, « le jour de la fin du monde, si on arrive à lire la pierre de la Porte du Soleil, on arrivera à percer le secret pour sauver l’humanité en danger. » 

De grands desseins donc, derrière ce Bocas de Oro  qui développe au passage une fibre éco-féministe, si ce n’est érotico-féministe. Car Bocas de Oro   n’est pas seulement le titre de cette pièce, mais aussi d’une chanson (paroles : Luara Learth Moreira et Marcela Santander Corvalán, musique : Gérald Kurdian). Et elles parlent de parties de corps léchées et chantent entre autres, en mode reggaeton : « Avec cette rage ressentie, transcendée /  Le mot mordusavouré / Comme un fruit sucé qui éjacule / Le jus dans ton regard ». Ce qu’on ne comprend qu’après le spectacle, grâce à la traduction distribuée (sauf en cas de forte maîtrise de l’espagnol).

Le temps de la roche

Mais ce quatuor nous parle avant tout de la relation avec les défunts, de la communication possible avec une conscience et une sagesse peut-être ensevelies dans la pierre. D’un côté du plateau, un grand mur de roche semble vouloir avaler l’espace et exerce une redoutable force visuelle et spirituelle. En même temps ce front graniteux paraît drôlement léger, voire fragile comme plié par le vent. Les interprètes vont effectivement tenter de pénétrer la falaise et ses secrets, se rassemblant face à cette œuvre de Leticia Skrycky comme pour lui insuffler une forme de vie, une respiration. Et effectivement, le rocher se met à bouger…

On les voit en cercle, sur les traces de rites ancestraux, tenir un bout de roche entre les mains comme pour écouter une murmure venant d’un autre temps. Elles vont chercher la transe par des gestes répétitifs ou danser de joie, des tissus à la main comme lors d’un bal traditionnel. Elles vont former un cercle, chanter, s’aimer et peut-être essayer de transformer la pierre en or. Tout ne s’explique pas. Une part d’énigme persiste, comme dans la légende de la Porte d’Or et son mystère minéral. 

Habiter plusieurs mondes

La bouche de chacun.e, est-elle une Puerta del Sol ? Bocas de Oro met les thèses en mouvement, mais a besoin de renforts sous forme verbale. Rien d’étonnant à cela. Santander Corvalán aime le format de la conférence-spectacle, comme dans Concha – Histoires d’écoute, sa conférence performée en duo avec Hortense Belhôte, présentée à La Manufacture en janvier 2022. Seulement ici, la part conférence arrive en différé. Les textes sont à lire avant (mais le temps est court) ou après le spectacle. Si les quatre interprètes, dont Marcela Santander Corvalán, traduisent ces idées en actions chorégraphiques, tout le spectacle semble fait pour illustrer une conférence, laquelle n’a donc pas lieu. 

Entre autres, le programme distribué fait référence, avec les mots extraits d’une conférence donnée par Silvia Rivera Cusicanqui, la sociologue et historienne du peuple aymara, à la « possibilité d’habiter des mondes différents en même temps ». L’idée peut déconcerter, d’autant plus qu’aujourd’hui tout le monde vit dans plusieurs mondes en même temps, mais bien sûr pour les mauvaises raisons (médiatiques et technologiques) au lieu de « fuir tout cette modernité pastiche de pacotille qui nous entoure », comme le suggère Cusicanqui. Dans son cas dit-elle, cela passe par la redécouverte « des grands-mères indiennes » pour « apprendre d’elles » et « récupérer la connaissance / … / à travers le paysage et le monde de la nature, et surtout avec le monde des morts que nos sociétés pratiquent », évoquant les « grandes fêtes des morts ». On souhaite alors que le savoir des ancêtres puisse également intervenir pour aider les artistes à créer parallèlement dans le monde du spectacle et de la conférence performée, ces univers ne donnant ici pas l’impression de vouloir se marier. Il va falloir continuer à creuser la pierre des sages. 

Thomas Hahn

Vu le 7 octobre, La Manufacture CDCN Nouvelle-Aquitaine

Chorégraphie Marcela Santander Corvalán 
Créé en collaboration et interprété par Bettina Blanc Penther, Erwan Ha Kyoon Larcher, Luara Learth Moreira, Marcela Santander Corvalán
Collaboration artistique Carolina Mendonça
Composition musicale Gérald Kurdian
Création sonore Vanessa Court
Lumière et espace Leticia Skrycky
Costumes Marine Peyraud

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