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« Blank Placard Dance », replay en papier chinois

Du jeu à la réalité : Les manifestations en Chine rappellent la performance d’Anna Halprin, ravivée par Anne Collod. 

Fin novembre 2022, des manifestants chinois brandissent des pancartes blanches, de simples feuilles de papier en signe de contestation des mesures de confinement et du gouvernement de Xi Jinping. Aucun slogan, aucune revendication écrites. Et donc aucune trace pouvant servir de pièce à conviction au régime. Sauf que depuis cette journée si particulière, il est également interdit de présenter une feuille de papier blanc dans la rue. En Chine. 

Ces images de rassemblements en rappellent d’autres, des images de pancartes vierges de toute inscription portées à travers une ville par quelques dizaines de personnes, accompagnées d’une fanfare. En 2016, Anne Collod recrée la performance  Blank Placard Dance d’Anna Halprin, en concertation avec la chorégraphe décédée en 2021. Si « Blank » ne signifie pas « blanc » mais l’absence d’inscriptions, la couleur des pancartes est néanmoins le blanc, invitant les passants à imaginer sur les pages blanches des slogans qui leur passeraient par la tête. 

Le public peut alors noter ses revendications sur des feuilles, non blanches mais rouges. Car certains passants ne manquent pas de se renseigner sur l’objet de la contestation blanche. La réponse tombe alors tel un retour de balle direct : « Et vous, contre quoi voulez-vous protester ? » Dans le jeu des couleurs, le rouge des feuilles ne représentait pas forcément le désir d’une révolution communiste, même si le l’idée n’était en rien absente dans le mouvement de 1968. Mettons le noir sur rouge des revendications collectées plutôt sur le compte de la Louise Michel de la danse qu’était Halprin. 

C’est en 1967 que Halprin créa ce concept, sur fond de manifestations contre la guerre américaine au Vietnam et de contestation sociale. L’action était parfaitement soixante-huitarde, avec une petite année d’avance. A la différence avec les manifestations de fin novembre 2022 en Chine, les danseurs du groupe d’Anna Halprin s’abstenaient aussi de scander des slogans. Leur marche dans la ville était silencieuse. Inutile de scander le moindre « nous ne sommes pas d’accord ». 

Dans la Chine néo-communiste de Xi Ping, la question serait autant interdite que la marche et les pancartes. Mais inversement, à Shanghai etc. l’objet de la contestation est évident pour tous. D’où, justement, le danger pour le régime qui n’a pas tardé à réagir, décidant illico d’interdire à ses citoyens muselés de brandir des feuilles blanches dans la rue. Alors les manifestants finiront-ils par brandir des feuilles transparentes ? Par mimer de tenir des feuilles ? A San Francisco, la police ne manqua pas d’interrompre le spectacle, contribuant au (sur)réalisme de la scène. Les Chinois subissent une réalité sans merci. 

La feuille blanche nous rappelle cependant aussi l’histoire du spectacle vivant en France du début du XVIIIsiècle, épisode où il était interdit de parler sur scène si le roi n’en avait pas accordé le « privilège » à la compagnie. De ce fait, certaines troupes foraines inventèrent le théâtre à écriteaux, principe repris plus tard par les mimes jusque dans les films muets. En 1719 tout spectacle forain est temporairement interdit et à la reprise, c’est le public qui chante les paroles. Face à l’inventivité populaire, le gouvernement chinois peut encore s’attendre à quelques surprises. Et la manifestation à blanc pourrait bien faire surface en Russie ou en Iran ou bien à des endroits totalement inattendus. A Paris, Blank placard dance, replay prendra ses droits à la Maison des Métallos à Paris en mars 2023. 

Thomas Hahn

https://www.annecollod.com/blank-placard-dance-replay

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