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« Après Hier », par Rafael Pardillo

Un grand danseur se confie et raconte sa vie et sa danse. L'exercice ne surprend plus guère. Mais ce qu'a vécu Rafael Pardillo – interprète qui occupe les plateaux depuis la grande époque de l'Esquisse, la compagnie des Bouvier-Obadia – montre l'une des limites du genre. L'émotion risque parfois d'y déborder. Ici, la danse sauve le tout. 

Même si cela ne constitue pas nécessairement la voie la plus intéressante pour aborder une œuvre chorégraphique, l'analyse des conditions de l'élaboration d'Après hier, le solo de Rafael Pardillo apporte quelques clefs qui, en l'espèce, sont indispensables. 

A première vue, la pièce ne diffère guère des exemples de solo-confession qui se multiplient au fur et à mesure que les interprètes arrivent au terme plus ou moins contraint de carrières diverses mais significatives. On peut penser à Danseuse de Muriel Boulay présenté lors du dernier festival de Montpellier, à Histoires condansées (2011) où Foofwa d'Imobilité soumettait les grandes œuvres du XXsiècle chorégraphique au filtre de ses interprétations, mais encore à ces commandes que le festival Faits d'hiver (le grand frère de ce Bien Fait !) a régulièrement passé à des personnalités aussi différentes que Fred Werlé (Nijinskoff, 2010) ou l'exceptionnelle Cinquième position (2008) de l'irremplaçable Andrea Sitter. Cet équilibre toujours complexe entre la dimension biographique, la réflexion sur la danse et son évolution, et les émotions avouées de l'interprète-témoin-concepteur, peut vite faire perdre la subtilité de ce subtil assemblage. 

Dans le cas de Rafael Pardillo, le travail partait de son histoire d'interprète.

Sur un plateau éclairé a giorno, il entre et dit un « bonjour », réservé et discret, presque triste. Puis, comme il est d'usage en matière de solo-confession, l'interprète engage un récit qu'il interrompt de danse… Dans le cas présent, ces intermèdes – à moins que cela soit les textes qui en tiennent lieu – paraissent fort différents les uns des autres. Et pour cause et l'on revient à cette genèse qu'il s'agit d’éclairer : Rafael Pardillo était en résidence à Micadanses et s'y est efforcé de retrouver, avec l'accord et souvent l'aide des chorégraphes intéressés, les variations qu'il a dansé au long d'une carrière impressionnante. Ainsi croise-t-on les œuvres de Catherine Diverrès ou de Joëlle Bouvier, de DV8 ou de l'Esquisse (Joëlle Bouvier plus Régis Obadia, donc) comme autant d'étapes dans un chemin de vie et qui semblent transpirer des confidences même du danseur. Car, initialement, celui-ci limitait son solo aux confidences de ce corps dont les fulgurances nourrirent les chorégraphes avec lesquels il collabora. 

Galerie photo © Laurent Paillier 

Les mots arrivèrent un peu plus tard et prirent, dans le cas présent, une place assez déterminante. Pour être juste, il faut reconnaître le poids et la charge émotionnelle qu'ils représentent. Né en 1969 dans une Espagne franquiste que l'on perçoit comme encore particulièrement empesée, le jeune garçon se retrouve orphelin, recueilli dans une institution, et ne retrouve les membres de sa famille qu'autour de la maison des grands-parents, évoquée avec beaucoup de poésie par une maquette-bougie posée sur un petit monticule de terre. 

La force de l'émotion dégagée par cette aventure de vie si difficile (avec présence du père projeté sur des tissus, évocation de la rencontre du compagnon de vie à l'orphelinat, etc…) en arrive à presque dissimuler la danse. Ce qui partait d'une démarche profondément chorégraphique tend vers le seul-en-scène autobiographique, un peu dérangeant à force d'intimité et d'intensité émotionnelle. 

Pourtant le corps réagit. Chacun des soli, ces variations dont le danseur a apporté la matière principale aux chorégraphes avec lesquels il a collaboré (c'était le projet initial), intégrés au récit finissent par prendre le dessus. La pluralité des textures gestuelles, difficilement identifiables sans l'aide de la liste insérée dans le programme, répond aux émotions du récit et apportent comme un commentaire d'une justesse étonnante. 

Jusqu'à ce moment final de magie, à tous les sens du terme, quand recrachant des balles rouges comme si elles étaient les mots longtemps rentrés et étouffants, le danseur les dispose sur le plateau : petits spots rouge d'un parcours de mémoire pour un solo encore en devenir mais dont il faudra suivre les prochaines représentations. 

Cette représentation d'Après Hier était précédée par une autre création, celle de Karima El Amrani avec Anne-Sophie Lancelin et titrée Les Figures de l'attention. Très bien faite, très soignée, extrêmement bien dansée, la pièce manque encore de ce petit truc en plus qui fait d'un exercice de très haute école, présenté par des interprètes hors pair, autre chose qu'un très bel enchaînement parfaitement exécuté. C'est admirable et un peu décevant. Parfois on se prend à regretter le défaut sur lequel se construirait le propos, la petite faille par où passerait la lumière – au sens littéral car la pièce est fort sombrement à la mode – et que l'impeccable maîtrise n'autorise pas. La matière est là, reste à en faire un spectacle, c'est-à-dire quelque chose qu'un certain danger rend indispensable. 

Philippe Verrièle

Vu le 12 septembre à Micadanses dans le cadre du festival Bien Fait. 

 

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