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Anna Halprin par Anne Collod : « CommUne Utopie »

Création au Théâtre de Nîmes d’une nouvelle variation sur Parades & Changes, interactive et participative.

« Comme une utopie », ou comment résumer en trois mots la vie d’Anna Halprin : son humanisme, son action à travers la danse, sa longévité. La légende de la danse nous a quittés en mai 2021 à l’âge de presque 101 ans [lire notre hommage], mais l’esprit ludique et visionnaire de ses utopies artistiques, sociales et écologistes (sa Planetary Dance !) reste bien vivant.

Si ses principes [lire notre entretien] continuent à être mis en pratique au Tamalpa Institute en Californie qui est dirigé par sa fille Daria, qu’en est-il de ses œuvres pour la scène ? Le Théâtre de Nîmes a pris la question à bras le corps avec un hommage appuyé, naturellement défendu sur le plateau par Anne Collod. Cofondatrice du Quatuor Albrecht Knust en 1993, menant les premières investigations de jeunes chercheurs et chorégraphes par rapport à l’histoire de la danse contemporaine, la chorégraphe n'a cessé de revisiter les origines des formes actuelles de la création chorégraphique. Ayant créé sa compagnie (…& alters, en 2003), elle porte un intérêt particulier aux utopies collectives.

Tel un code open source

L’œuvre d’Anna Halprin n’est évidemment rien d’autre qu’une telle utopie. Il faut dire que ses pièces se prêtent, par leur ouverture à la réinterprétation, à une postériorité, plus que toute autre œuvre de chorégraphe laissée en héritage à l’humanité. Une pièce d’Halprin ne peut être dénaturée puisque les équipes qui la remontent font partie intégrante d’un processus créateur sans fin. Une chorégraphie d’Halprin est de fait un code en open source, une œuvre collective à laquelle d’autres peuvent apporter leur pierre et leur variation, pour inscrire l’esprit Halprin dans le présent et le futur de la danse. Le conflit entre préservation et dénaturation, entre authenticité et créativité qui hante certaines compagnies de chorégraphes défunts n’a alors plus raison d’être.

Les meilleurs exemples ne sont autres que Parades & Changes  de 1965 et la performance participative et collective Blank Placard Dance , toutes deux reprises et réinterprétées ces dernières années sous l’égide d’Anne Collod. Ces pièces qui sont, selon la volonté de Halprin, toujours à réinventer pour éventuellement constituer une œuvre collective et planétaire. Aussi elles appellent les chorégraphes à s’en emparer pour reproduire leur sens et leur esprit, tout en variant sur la forme. En créant au Théâtre de Nîmes CommUne Utopie, Collod répond une nouvelle fois à cette sollicitation implicite, pour prolonger l’expérience très réussie de son Parades & changes, replay in expansion. CommUne Utopie  ouvre l’univers de Parades & Changes  au jeune public.

Trois interprètes, six jeux

Pièce participative et tous publics, CommUne Utopie  intègre joyeusement quelques dizaines d’enfants par représentation. Les trois interprètes rebondissent d’abord sur quatre tableaux de Parades & Changes, ici interprétés par un trio, comme quatre façons de jouer. Il y a ce jeu avec le papier, foisonnant, libératoire et en même temps très esthétique dans La Danse du papier, ici sans la nudité qui fait partie du tableau dans Parades & Changes. Ensuite, ça jongle avec les règles du jeu et la tendresse dans Le Loup amoureux, ça joue avec les sons et les couleurs quand le corps devient instrument percussif et finalement tout culmine dans un déguisement débridé, où les objets du quotidien, du balai au parapluie, transforment les danseurs en statues ou guerriers fantasques.

Tout ceci prépare un finale interactif. Le cinquième jeu est une partie de ballon avec la salle, après quoi les jeunes spectateurs identifient les éléments de chaque partie (danse, musique, lumières) pour composer un nouveau tableau de leur choix, esquissé dans de nouveaux costumes, maintenant très colorés. Et pour ce faire, les enfants votent, en brandissant de petites mains de couleurs différentes, que l’équipe avait collés sous les sièges de la salle. C’est donc le sixième jeu de la soirée, et celui-ci se nomme : démocratie. Celle-là même que l’on croyait acquise et immuable et qui est, en somme, une autre utopie collective, toujours à désirer car toujours imparfaite. Et la salle de spectacle se transforme en agora. Fort de son énergie ludique et rafraîchissante, CommUne Utopie  se révèle être exactement le type de création qui pourra redonner au public le goût de partager un spectacle. Et la démocratie…

Thomas Hahn

Vu le 10 novembre 2021, Nîmes, Théâtre Bernadette Lafont

Direction artistique et chorégraphie : Anne Collod
à partir de l’œuvre Parades & changes d’Anna Halprin
Avec Sherwood Chen, Zoë de Sousa et Calixto Net
Création sonore : Mathias Delplanque
Création lumière : Henri-Emmanuel Doublier
Création costumes et accessoires : Rachel Garcia

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