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Akaji Maro à cœur ouvert

Danser avec l’invisible : Le fondateur de Dairakudakan se dévoile.

Depuis 2007, la Maison de la Culture du Japon à Paris présente régulièrement les spectacles de Dairakudakan. Deux fois par an, Aya Soejima, collaboratrice de longue date de cette institution nipponne, se rend à Tokyo, au studio de la compagnie. De ses nombreux entretiens avec Maro, elle tire un livre où le septuagénaire se dévoile, de son enfance à son parcours artistique et ses réflexions intimes sur le butô.

Il a été livreur de riz clandestin. Boxeur. Bagarreur. Bohémien. Danseur de cabaret. « Colis » ou encore « ouvrier agricole »  selon Tatsumi Hijikata qui nommait ainsi ses danseurs, surtout  quand ils montèrent sur scène dans les cabarets, pour jouer les Kimpun Shows qui renflouèrent les caisses de la compagnie.

Quand Maro résume sa période de théâtre underground, il dit: « Je faisais du théâtre avec la mentalité d’un criminel frustré. Faute de pouvoir commettre des crimes, je faisais de l’art. »  Il y a du Genet dans l’air, dans le quartier de Shinjuku, aux années 1960. Le réalisateur Nagisa Oshima tourne Journal d’un voleur à Shinjuku, avec les membres de la troupe de théâtre underground « La Tente rouge » qui répéta ses spectacles dans le studio de Hijikata. « [Le] vol à l’étalage dans les librairies était à la mode dans les années soixante : plusieurs amis se sont fait attraper. On essayait de donner une valeur au crime et que l’objet du délit soit un livre avait du sens. »

Homme de théâtre à la recherche d’un style japonais mais révolutionnaire, Maro observe l’agitation contestataire de l’époque sans être un militant politique. Il vit chez Hijikata et fréquente Yukio Mishima, Kazuo Ohno, Ushio Amagatsu, Min Tanaka, Ko Murobushi, Carlotta Ikeda... Ses souvenirs sont une porte d’entrée dans la sphère privée de l’histoire du butô, mais aussi dans une société qui ressemble ici étonnamment à l’Occident, qu’il s’agisse de la bohème soixante-huitarde ou  da la vie familiale.

La franchise avec laquelle Maro ironise sur lui-même évite tout effet de voyeur: « Je n’avais pas un rond en poche, mais je trouvais toujours quelqu’un pour m’offrir à manger ou à boire. L’hiver suivant, une belle fille m’a fait signe de la main: Tu veux te faire un peu de fric? Je l’ai reconnue - je l’avais vue danser avec Akira Kasai en répétition. Je l’ai suivie comme un petit chien et me suis retrouvé chez Akira Kasai qui répétait un numéro de cabaret, le kimpun show ».

Le livre débute par l’histoire familiale de Maro qui n’a connu ni son père (tombé à la guerre peu après la naissance de Maro) ni sa mère et fut élevé par sa grand-mère, éclairant sa personnalité hors-norme, son parcours et son art, son autodérision. La seconde partie est faite de réflexions sur son approche du butô, sous forme d’aphorismes: « La honte de présenter les choses sérieusement constitue un de mes fondements. Bien sûr, je danse sérieusement, mais une partie de moi-même a envie de se  moquer de moi. » Ce livre constitue toutefois une contribution sérieusement précieuse à la compréhension de l’histoire de cette danse, « monde mystérieux qu’on comparait  à l’époque au surréalisme. »

Thomas Hahn

Image de preview : Symphonie-M © Junichi Matsuda

Aya Soejima, Akaji Maro - Danser avec l’invisible
Riveneuve, 2017, 117p., 12€

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